Maroc-Algérie : vers une autonomie réelle du Sahara occidental au-delà des positions traditionnelles ?


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Abdelmadjid Tebboune et Mohammed VI et drapeau du Sahara occidental
Abdelmadjid Tebboune et Mohammed VI et drapeau du Sahara occidental

Le discours du Trône de Mohammed VI et la tournée de l’émissaire Trump Massad Boulos convergent vers une possible percée diplomatique inédite. Entre Rabat et Alger, une troisième voie émerge : l’autonomie réelle du Sahara occidental avec partenariats renforcés, solution qui pourrait transcender un demi-siècle de blocage.

Mohammed VI tend la main : signal d’ouverture dans un contexte géopolitique renouvelé

Dans son discours du Trône du 29 juillet 2025, le roi Mohammed VI a tendu la main à l’Algérie, appelant à un « dialogue fraternel et sincère » sur les « différentes questions en souffrance entre les deux pays« , incluant explicitement le dossier du Sahara occidental.

Cette initiative diplomatique, formulée dans un contexte de célébration nationale, marque une tonalité inédite par son appel à une solution « consensuelle qui sauve la face à toutes les parties, où il n’y aura ni vainqueur ni vaincu« .

Cette ouverture royale intervient dans un timing particulièrement significatif : elle coïncide avec la tournée maghrébine de Massad Boulos, conseiller spécial de Donald Trump pour l’Afrique, qui s’est rendu en Algérie le 27 juillet et au Maroc le 29 juillet, jour même du discours royal. L’étape algérienne de cette mission diplomatique revêt une importance cruciale : Alger, gardienne historique du droit à l’autodétermination des peuples et soutien indéfectible du Front Polisario, détient, en effet, les clés d’un règlement durable.

Cette synchronisation quasi parfaite entre diplomatie américaine et initiative royale soulève des questions légitimes sur une éventuelle coordination visant à créer une dynamique nouvelle dans ce dossier enlisé depuis des décennies.

La mission Boulos : reconnaissance du rôle pivot de l’Algérie

Massad Boulos incarne une méthode taillée à la mesure de Donald Trump : moins d’aide, plus de commerce ; moins de lourdeurs multilatérales, plus de deals bilatéraux. Sa tournée express au Maghreb ne relève pas du protocole diplomatique habituel. Significativement, c’est à Alger que l’émissaire américain a consacré le plus de temps, reconnaissant implicitement le rôle central de l’Algérie dans toute résolution du conflit. En reliant Alger et Rabat en l’espace de quelques heures, Massad Boulos cherche certainement à réintroduire un dialogue indirect sur le Sahara et la stabilité régionale. Une piste déjà évoquée par John Bolton, ancien conseiller sécurité de Trump.

Washington veut une solution qui soit acceptable pour les parties au conflit et qui permette de démarrer rapidement le business. Car Trump veut que le commerce prime. Cette position nuancée suggère que l’administration Trump pourrait être disposée à explorer des alternatives si celles-ci permettent de débloquer définitivement le dossier avec l’aval d’Alger.

Vers une autonomie réelle : au-delà du cadre traditionnel

L’analyse des déclarations récentes et des dynamiques diplomatiques en cours laisse entrevoir la possibilité d’une solution inédite qui transcenderait le clivage traditionnel entre autonomie sous souveraineté marocaine et indépendance totale. Cette « troisième voie » pourrait s’articuler autour de plusieurs éléments novateurs :

  • Un statut d’autonomie substantielle

Contrairement au plan d’autonomie marocain de 2007, limité dans ses prérogatives, une autonomie réelle pourrait octroyer au Sahara occidental une souveraineté effective sur ses ressources naturelles (phosphates, pêche, énergies renouvelables). Mais aussi lui permettre d’avoir un système judiciaire et législatif propre, de gérer les relations internationales.

  • Partenariats économiques renforcés avec le Maroc

Cette solution permettrait au royaume chérifien de maintenir ses investissements stratégiques, notamment le complexe solaire de Ouarzazate étendu au Sahara ou les infrastructures portuaires de Dakhla. Mais aussi les projets agricoles et aquacoles, dont certains sont propriétés de la holding royale.

Ces partenariats prendraient la forme de joint-ventures ou de concessions à long terme, garantissant la rentabilité des investissements marocains tout en respectant l’autonomie sahraouie.

  • Reconnaissance internationale progressive

Un tel statut pourrait bénéficier d’une reconnaissance internationale immédiate par les États-Unis, garants du processus et une adhésion progressive d’États européens et africains.

Enfin, l’intégration dans certaines organisations internationales sous un statut spécial ne devrait pas poser de problème.

Cette nouvelle approche répond à plusieurs impératifs géopolitiques que les acteurs traditionnels du conflit ne peuvent plus ignorer :

  • Pour les États-Unis c’est la sécurisation des investissements américains dans les énergies renouvelables sahariennes mais surtout la possibilité de rechercher des terres rares. Enfin, ce serait la démonstration de l’efficacité de la diplomatie transactionnelle trumpienne.
  • Pour le Maroc, ce serait la préservation des investissements colossaux réalisés dans les « provinces du Sud » et l’assurance du maintien d’une influence économique substantielle sans les coûts politiques de l’occupation. Ce serait aussi l’amélioration de l’image internationale, surtout après les récentes condamnations de la Cour de Justice de l’Union Européenne, qui font peser une épée de Damoclès sur les investissements marocains.
  • Pour l’Algérie, ce serait d’abord la reconnaissance de la justesse du combat mené depuis 50 ans. Mais aussi la possibilité de redéployer ses efforts diplomatiques sur d’autres dossiers régionaux et l’opportunité de normaliser les relations avec Rabat et de relancer le projet maghrébin.
  • Pour la communauté internationale ce serait la résolution d’un conflit gelé qui entrave la coopération régionale et la stabilisation d’une zone géographique cruciale pour les enjeux migratoires et sécuritaires.
  • Et bien sûr, ce serait enfin la « libération » pour le peuple Sahraoui.

La convergence entre le discours d’ouverture de Mohammed VI et la mission diplomatique de Massad Boulos font que, pour la première fois depuis des décennies, les conditions semblent réunies pour explorer une solution innovante qui transcende les positions maximalistes traditionnelles.

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Ali Attar est un spécialiste reconnu de l'actualité du Maghreb. Ses analyses politiques, sa connaissance des réseaux, en font une référence de l'actualité de la région.
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