L’Algérie fait entrer la Palestine dans le Règlement sanitaire international : une victoire diplomatique majeure


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Illustration L'Algérie fait entrer la Palestine dans le Règlement sanitaire international

Par un vote écrasant de 112 voix contre 2, la 78ᵉ Assemblée mondiale de la Santé a approuvé jeudi l’inclusion de la Palestine dans le Règlement sanitaire international. Cette victoire diplomatique, orchestrée par l’Algérie, constitue une étape cruciale vers la normalisation du statut palestinien dans les instances internationales.

La 78ᵉ Assemblée mondiale de la Santé (AMS) a pris une décision majeure hier, jeudi 22 mai 2025. Par 112 voix favorables, seulement 2 voix contre et 19 abstentions, elle a adopté la décision « Notification du Règlement sanitaire international (2005) à la Palestine ». Cette résolution, portée par l’Algérie aux côtés de vingt-et-un pays d’Afrique, d’Asie et du monde arabe, inscrit officiellement l’État de Palestine comme partie prenante du RSI et confirme sa participation de plein droit aux travaux de l’Organisation mondiale de la Santé en qualité d’« État observateur ».

Une architecture juridique solide pour contourner les objections

La décision s’appuie stratégiquement sur l’article 64 du RSI pour prier le Directeur général de l’OMS de notifier immédiatement le règlement à la Palestine. Le texte exige l’accomplissement de « toutes les mesures nécessaires » pour que Ramallah accède aux mêmes obligations et aux mêmes outils de surveillance sanitaire que les autres États parties.

Les rédacteurs ont habilement rappelé la résolution WHA77.15 de 2024, qui avait déjà aligné la participation palestinienne à l’OMS sur son statut onusien. En précisant que l’adhésion au RSI ne préjuge pas du statut d’État membre à part entière, ils ont ainsi neutralisé l’argument principal de Tel-Aviv contestant la souveraineté palestinienne.

Des retombées concrètes au-delà du symbole

Cette inclusion revêt une importance capitale pour trois raisons majeures.

  • D’abord, elle permet à la Palestine de bénéficier d’une couverture sanitaire universelle face aux épidémies. Le RSI constituant l’architecture mondiale d’alerte et de riposte aux urgences sanitaires, la Palestine pourra désormais recevoir en temps réel les notifications d’événements menaçant la région, solliciter une aide internationale coordonnée et émettre ses propres alertes. Cette capacité s’avère cruciale pour un territoire confronté à un système de santé fragmenté entre Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est.
  • Ensuite, le ministère palestinien de la Santé dispose maintenant d’un fondement juridique solide pour solliciter des évaluations conjointes, des renforts d’équipes médicales d’urgence ou la levée de restrictions logistiques imposées aux marchandises humanitaires. Cette dimension technique ouvre des perspectives concrètes d’amélioration des soins.
  • Enfin, ce vote constitue un signal politique fort. Après la reconnaissance de la Palestine par plusieurs États européens en mai 2025, cette décision accentue la pression multilatérale pour normaliser la place palestinienne dans les agences spécialisées des Nations Unies.

L’Algérie, architecte d’une stratégie diplomatique de long terme

Depuis l’escalade de la guerre de Gaza en octobre 2023, Alger a déployé une diplomatie multiforme particulièrement efficace. En février 2024, au Conseil de sécurité, l’Algérie a soumis au nom du groupe arabe un projet de résolution exigeant un cessez-le-feu immédiat. Bien que bloqué par le veto américain, ce texte a mis en lumière le rôle fédérateur croissant d’Alger.

En mai 2024, lors de la 77ᵉ AMS, l’adoption de la résolution WHA77.15 avait constitué la première étape vers l’intégration sanitaire de la Palestine, grâce aux négociations menées par la délégation algérienne. Parallèlement, entre 2023 et 2025, l’Algérie a maintenu un pont aérien régulier vers El-Arich, affrété des navires-hôpitaux en Méditerranée et plaidé constamment pour un couloir sanitaire sûr.

Au printemps 2025, conduite par le Professeur Kamel Sanhadji, président de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire (ANSS), la délégation algérienne a tissé une coalition Afrique-Asie-Monde arabe qui a rallié jusqu’à des États traditionnellement neutres. La stratégie consistait à coupler l’argument moral – « Personne n’est protégé si un peuple reste en dehors du RSI » – à la recherche du consensus sur la base du précédent accordé au Vatican en 2016.

En séance, Israël a tenté d’invoquer la « non-reconnaissance » de la Palestine, mais la présidence de l’AMS l’a renvoyé à la décision de l’Assemblée générale des Nations Unies conférant depuis 2012 le statut d’État observateur non membre à la Palestine. Le vote électronique, auquel ont participé 144 délégations, a consacré la large isolation de Tel-Aviv sur ce dossier, révélant l’érosion de ses soutiens traditionnels.

Des perspectives d’application prometteuses

Les réactions post-vote dessinent un horizon encourageant. Dans son briefing quotidien, le Secrétariat de l’OMS s’est félicité d’un « pas décisif vers l’universalité du système de sécurité sanitaire » et a annoncé un premier atelier technique à Ramallah courant juin. L’Union européenne, tout en saluant « la nécessité d’un accès humanitaire sans entraves », souligne que l’application concrète du RSI dans les territoires occupés dépendra de la libre circulation des équipes et du matériel médical.

Du côté palestinien, l’Autorité palestinienne a annoncé la création d’une cellule RSI afin d’harmoniser la collecte de données entre Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Le prochain rendez-vous est déjà fixé : la Palestine sera invitée à présenter, lors de l’AMS 2026, un premier rapport d’auto-évaluation des capacités de base.

Après avoir animé les débats onusiens sur le cessez-le-feu, l’Algérie démontre que la diplomatie de la santé sert désormais de levier discret mais efficace pour faire avancer la cause palestinienne. En fédérant Sud global et puissances émergentes, Alger réussit ce que les capitales arabes n’avaient pas encore obtenu : ancrer la Palestine dans l’ossature juridique qui gouverne les urgences sanitaires mondiales.

Liste des pays ayant portés la résolution : l’Algérie, l’Afrique du Sud, l’Arabie saoudite, Bahreïn, Brunei Darussalam, la Chine, l’Egypte, l’Indonésie, l’Iran, l’Irak, la Jordanie, le Koweït, la Libye, la Malaisie, la Namibie, le Nicaragua, le Sultanat d’Oman, le Pakistan, la Palestine, le Qatar, la Tunisie et la Turquie

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Ali Attar est un spécialiste reconnu de l'actualité du Maghreb. Ses analyses politiques, sa connaissance des réseaux, en font une référence de l'actualité de la région.
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