Les pays du Maghreb face à Gaza : analyse des positions géopolitiques


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Maghreb et Gaza
Illustration Maghreb et Gaza

Face à l’offensive israélienne « Gideon’s Chariots » et la mise sous « contrôle sécuritaire total » de Gaza annoncée par Netanyahou le 21 mai 2025, les pays du Maghreb réagissent selon des postures distinctes. Entre l’engagement historique de l’Algérie, le symbolisme limité de la Tunisie et l’équilibrisme diplomatique du Maroc, analyse des trois voies maghrébines dans ce conflit qui continue de déchirer la région.

L’annonce par Benyamin Netanyahou, le 21 mai 2025, de la mise sous « contrôle sécuritaire total » de l’ensemble de la bande de Gaza dans le cadre de l’offensive terrestre baptisée « Gideon’s Chariots » a provoqué une vague d’indignation de la population maghrebine. Alors que la communauté internationale peine à imposer un cessez-le-feu durable, Alger, Tunis et Rabat réévaluent publiquement leur positionnement diplomatique vis-à-vis d’Israël, naviguant entre leur solidarité historique avec la cause palestinienne et des considérations géopolitiques plus contemporaines.

Algérie : la diplomatie de principe comme pilier identitaire

Depuis son entrée au Conseil de sécurité des Nations Unies pour le mandat 2024-2025, l’Algérie s’est imposée comme le fer de lance diplomatique de la cause palestinienne. Portant plusieurs textes cruciaux, notamment la résolution d’avril 2024 sur l’adhésion pleine et entière de la Palestine à l’ONU – systématiquement bloquée par le veto américain – Alger maintient une présence active sur la scène internationale.

Le ministère algérien des Affaires étrangères réaffirmait encore, le 18 mars 2025, son « soutien absolu » à la Palestine et sa détermination à « aller jusqu’à la souveraineté palestinienne avec Al-Qods [Jérusalem] comme capitale ». Cette position s’est traduite concrètement par l’envoi régulier de convois humanitaires via le point de passage de Rafah.

Du discours du président Tebboune qualifiant la Palestine de « mère de toutes les causes » aux initiatives diplomatiques et humanitaires, Alger cultive un alignement quasi parfait entre rhétorique et action. Cette cohérence consolide son image de « gardien des opprimés » dans l’opinion publique maghrébine et arabe, renforçant son soft power régional face aux pays ayant normalisé leurs relations avec Israël.

Tunisie : une solidarité de cœur limitée par le poids des contraintes

Le président tunisien Kaïs Saïed ne cesse de multiplier les déclarations véhémentes contre ce qu’il qualifie de « crimes israéliens », rejetant catégoriquement toute forme de « normalisation ». Encore en avril 2025, la présidence tunisienne « condamnait les massacres commis sous les yeux du monde », affichant une position sans équivoque.

Toutefois, privée de relais financiers significatifs et d’un siège au Conseil de sécurité, la diplomatie tunisienne se trouve largement cantonnée à une dimension symbolique :
Le projet de loi criminalisant les relations avec Israël, porté activement par la société civile tunisienne, n’a jamais franchi le cap de l’adoption parlementaire.

De nombreux observateurs soulignent le décalage flagrant entre les discours enflammés du chef de l’État et l’absence de leviers concrets, certains allant jusqu’à évoquer une forme d’« hypocrisie politique ».

La Tunisie joue donc essentiellement un rôle d’amplificateur des revendications populaires, mais son influence réelle se heurte à une double contrainte : d’une part, une crise socio-économique interne qui limite sa marge de manœuvre, et d’autre part, une scène diplomatique régionale où l’Algérie occupe déjà la position privilégiée de porte-voix maghrébin.

Maroc : l’art délicat de l’équilibrisme diplomatique

Le royaume chérifien « réaffirme son attachement indéfectible aux droits légitimes du peuple palestinien » dans ses communications officielles. Cette posture se manifeste à travers sa participation aux sommets de l’Organisation de la Coopération Islamique et par des contributions financières symboliques à destination de Gaza.

Dans les faits, la politique marocaine révèle des contradictions significatives entre discours et actions concrètes.

D’un côté, les communiqués royaux appellent régulièrement à « un État palestinien viable » et affichent un soutien de principe à la cause palestinienne. Mais parallèlement, le 6 juin 2024, le Maroc a autorisé la corvette israélienne INS Komemiyut à se ravitailler au port de Tanger, suscitant l’indignation immédiate du Front marocain de soutien à la Palestine.

De même, alors que le royaume participe activement aux sommets arabes et islamiques exprimant la solidarité avec la Palestine, il développe simultanément une coopération militaire et sécuritaire avec Israël qualifiée de « plus florissante que jamais » par plusieurs observateurs internationaux depuis l’accord de normalisation de 2020.

Cette dualité se manifeste également au niveau intérieur : tandis que les déclarations parlementaires officielles réitèrent le soutien à la cause palestinienne, des manifestations populaires récurrentes (particulièrement intenses en mai 2025) exigent la rupture complète des relations avec Tel-Aviv et le blocage des installations portuaires marocaines aux navires israéliens.

Cette double posture révèle un choix assumé par Rabat : privilégier les bénéfices sécuritaires et diplomatiques de son rapprochement avec Israël (notamment dans le dossier du Sahara occidental), tout en ménageant une opinion publique majoritairement acquise à la cause palestinienne. Cet équilibrisme délicat constitue l’une des principales lignes de tension de la politique étrangère marocaine actuelle.

Face à l’aggravation du conflit et à l’inefficacité croissante des mécanismes multilatéraux, la voix du Maghreb sur la question palestinienne reste fondamentalement polyphonique.

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