Justice muselée : en Guinée, l’enlèvement d’un avocat ravive le spectre des abus sous les régimes autoritaire


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Tribunal
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L’enlèvement de l’avocat Mohamed Traoré a provoqué une onde de choc en Guinée. Figure critique du régime militaire, il a été brièvement séquestré puis relâché dans des conditions troublantes. En réaction, le barreau guinéen a décrété un boycott national des tribunaux et annoncé son retrait des institutions de la transition. Cette affaire symbolise la fragilisation de l’État de droit et la montée des pressions contre ceux qui défendent la justice.

Le barreau de Guinée est en colère. Lundi, il a annoncé un boycott de deux semaines de tous les cours et tribunaux du pays, une décision radicale mais jugée nécessaire pour protester contre l’enlèvement de l’avocat Mohamed Traoré, survenu dans la nuit du vendredi au samedi à son domicile en banlieue de Conakry. Selon des témoignages, des hommes encagoulés l’auraient violemment rudoyé avant de le relâcher quelques heures plus tard. Une attaque ciblée, qui dépasse le simple fait divers : elle touche au cœur même de l’exercice du droit et de la liberté d’expression en Guinée.

Le barreau se retire des institutions du régime

Mohamed Traoré n’est pas un avocat ordinaire. Ancien membre du Conseil national de la transition (CNT), il s’est progressivement éloigné du pouvoir militaire après avoir quitté ses fonctions, début 2025. Sa parole libre, notamment ses critiques publiques de la junte au pouvoir depuis le coup d’État de 2021 ayant renversé Alpha Condé, semble être à l’origine de cette agression. Pour le barreau, il ne fait aucun doute que cet enlèvement constitue une tentative d’intimidation contre un professionnel du droit qui dérange.

Lors d’une assemblée générale tenue lundi, l’Ordre des avocats a pris une série de décisions symboliques et fortes. En plus du boycott judiciaire, le barreau a annoncé le retrait immédiat de tous ses représentants siégeant dans les institutions et commissions mises en place par les autorités de transition. Ce désengagement total vise à dénoncer « les atteintes graves portées à leur profession », selon les propos du porte-parole Kémoko Malick Diakité.

Un précédent dangereux pour l’État de droit

Le barreau prévoit également de porter plainte contre les auteurs de l’enlèvement de Mohamed Traoré. Une commission spéciale a été créée pour suivre l’affaire et veiller à ce qu’elle soit instruite sérieusement, bien que les avocats guinéens eux-mêmes ne se fassent guère d’illusions sur l’indépendance de la justice dans un climat aussi tendu. La déclaration de Mohamed Traoré, annonçant une pause professionnelle pour protéger sa famille, a jeté un froid dans les rangs : « J’ai compris que je les mettais en danger », a-t-il écrit dans une lettre émouvante publiée sur les réseaux sociaux.

L’enlèvement de Mohamed Traoré est un symptôme inquiétant en Guinée : la remise en question de l’État de droit et la banalisation des violences contre ceux qui osent dénoncer les dérives du pouvoir. Depuis la prise du pouvoir par les militaires en 2021, les engagements de la junte en faveur de la justice et de la démocratie se sont peu à peu effrités. La société civile est sous pression, les journalistes sont régulièrement inquiétés, et les opposants politiques, eux aussi, ne sont pas épargnés.

Pratiques répressives à l’échelle du continent africain

Ce type de répression contre des figures du monde judiciaire ou politique rappelle d’autres cas en Guinée. En 2011, l’avocat Thierno Ousmane Diallo avait été arrêté et détenu arbitrairement pour ses liens supposés avec des mouvements de contestation. En 2020, des avocats s’étaient déjà mobilisés pour dénoncer les intimidations et les pressions exercées sur leurs confrères défendant des opposants politiques. Au-delà de la Guinée, ces pratiques répressives s’étendent à l’échelle du continent africain. En Afrique, les professionnels du droit sont régulièrement pris pour cible dans des contextes politiques tendus.

Au Cameroun, par exemple, l’avocat Me Félix Agbor Balla a été arrêté en 2017 pour avoir défendu les droits des anglophones. En République Démocratique du Congo, des avocats défenseurs des droits humains comme Me Georges Kapiamba ont fait l’objet de menaces à répétition. Même au Burkina Faso, où la transition militaire actuelle a suscité de grands espoirs pour certains, des avocats et magistrats ont exprimé leur crainte de voir l’indépendance de la justice s’éroder face aux injonctions du pouvoir exécutif.

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