Grève au Nigeria : Aliko Dangote défie les syndicats


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Aliko Dangote
Aliko Dangote

Un conflit social majeur oppose depuis le 8 septembre 2025 les syndicats nigérians au géant industriel Aliko Dangote. Cette grève menace de paralyser l’approvisionnement énergétique du pays le plus peuplé d’Afrique.

Au cœur de cette crise sociale qui oppose l’empire Dangote aux syndicats, se trouve un projet ambitieux : l’importation de 4000 camions-citernes fonctionnant au gaz naturel comprimé (GNC) par la raffinerie Dangote. Cette flotte, évaluée à 469 millions de dollars, devait révolutionner la distribution de carburant au Nigeria en permettant à l’entreprise de livrer directement ses produits aux consommateurs finaux, court-circuitant ainsi les intermédiaires traditionnels.

Mais cette stratégie d’intégration verticale, qui semblait être un modèle d’efficacité économique et écologique, s’est transformée en poudrière sociale. Le 29 août 2025, lorsque Dangote a commencé à recruter des chauffeurs pour cette nouvelle flotte, une condition inédite a été imposée aux candidats : signer un engagement à ne jamais adhérer à un syndicat existant dans l’industrie pétrolière et gazière.

NUPENG monte au créneau : « Non à l’esclavage moderne »

Cette exigence a provoqué la colère du Syndicat des travailleurs du pétrole et du gaz naturel (NUPENG), qui représente des milliers de chauffeurs de camions-citernes à travers le pays. Le président de NUPENG, Williams Akporeha, n’a pas mâché ses mots : « Nous ne pouvons pas permettre à un investisseur de réduire les Nigérians en esclavage. Dangote ne peut pas nous ramener aux jours sombres de l’esclavage. »

Le syndicat dénonce ce qu’il considère comme une violation flagrante de l’article 40 de la Constitution nigériane, qui garantit la liberté d’association, ainsi que des conventions internationales du travail. Pour NUPENG, cette politique représente « une route dangereuse vers le fascisme dans les relations industrielles, où les travailleurs sont traités comme des esclaves sans voix ni dignité« .

Le 8 septembre 2025, après avoir épuisé toutes les voies de dialogue, NUPENG a déclenché une grève nationale illimitée, paralysant la distribution de carburant dans tout le pays.

Un mouvement qui s’élargit

Ce qui avait commencé comme un conflit localisé s’est rapidement transformé en mouvement de protestation d’envergure nationale. Plusieurs organisations ont rejoint NUPENG dans sa contestation :

  • PENGASSAN, le syndicat des cadres du secteur pétrolier, a exprimé sa « solidarité inébranlable » avec NUPENG, menaçant à son tour de paralyser les opérations de la raffinerie si la direction persiste dans sa résistance à la syndicalisation.
  • NOGASA (Association nationale des fournisseurs de pétrole et de gaz), NARTO (Association nigériane des propriétaires de transport routier), et PETROAN (Association des propriétaires de stations-service) ont tous annoncé leur intention de rejoindre le mouvement de grève.
  • Le Congrès du travail nigérian (NLC), organisation faîtière regroupant 54 syndicats affiliés et 36 conseils d’État, a lancé une « alerte rouge » à tous ses membres, menaçant d’une grève de solidarité qui pourrait paralyser l’ensemble de l’économie nigériane.

Au-delà des chauffeurs un enjeu de monopole

Derrière cette querelle syndicale se cache une problématique économique plus large : la crainte d’une monopolisation du secteur énergétique nigérian par le groupe Dangote. Billy Gillis-Harry, président de PETROAN, a qualifié la stratégie de Dangote de « monopolistique« , estimant qu’elle risque de rendre « inutiles » des milliers d’acteurs traditionnels de la chaîne d’approvisionnement.

Cette inquiétude n’est pas sans fondement. Avec sa raffinerie de 650 000 barils par jour – la plus grande d’Afrique – et désormais sa propre flotte de distribution, Dangote contrôle potentiellement l’ensemble de la chaîne de valeur énergétique, du raffinage à la vente au détail.

La nécessaire intervention gouvernementale

Face à l’escalade du conflit et aux risques de pénurie de carburant, le gouvernement fédéral nigérian s’est empressé d’intervenir. Le ministre du Travail et de l’Emploi, Muhammad Dingyadi, a convoqué une réunion de conciliation d’urgence le 8 septembre 2025 à Abuja. Mais cette première tentative de médiation s’est soldée par un échec. Selon plusieurs sources, les représentants de Dangote auraient quitté la réunion, laissant les discussions dans l’impasse.

Les conséquences économiques de ce conflit se font déjà sentir. Des files d’attente se forment devant les stations-service, et les prix sur le marché noir commencent à flamber. Dans l’État d’Edo, les autorités syndicales ont conseillé aux résidents de faire des réserves de carburant en prévision de la fermeture des stations.

Les économistes mettent en garde contre les effets en cascade d’une grève prolongée : paralysie des transports, coupures d’électricité, arrêt de la production industrielle, aggravation de l’inflation et des difficultés économiques dans un pays où près de 40% de la population vit déjà sous le seuil de pauvreté.

Joe Ajaero, président du NLC, a résumé l’enjeu : « Une attaque contre un syndicat est une attaque contre tous. Si nous permettons au groupe Dangote de réussir, aucune industrie ni aucun travailleur au Nigeria ne sera en sécurité. Cela créera un précédent dangereux selon lequel le capital est au-dessus de la loi.« 

Masque Africamaat
Spécialiste de l'actualité d'Afrique Centrale, mais pas uniquement ! Et ne dédaigne pas travailler sur la culture et l'histoire de temps en temps.
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