
Dans cette interview, Amnesty International revient sur les 17 poursuites déjà engagées contre journalistes et blogueurs béninois, dénonce l’usage politique de l’article 550 et dresse le bilan – encore très maigre – des promesses de réforme faites par le gouvernement lors de l’Examen périodique universel.
Quand le journaliste Ignace Sossou est jeté en prison en décembre 2019 pour « harcèlement par voie électronique », le choc résonne bien au-delà des salles de rédaction de Cotonou : c’est l’un des premiers signaux forts de l’usage répressif du Code du numérique, adopté à peine un an plus tôt. Cinq ans plus tard, la mécanique reste la même : de Virgile Ahouansè, condamné à douze mois avec sursis pour « fausses informations », aux blogueurs poursuivis pour un simple post sur Facebook, l’article 550 continue de servir de fourre-tout judiciaire.
Dans cet entretien, Amnesty International détaille la nature de ces affaires, explique pourquoi la révision du texte – annoncée pour la session parlementaire de 2025 – est cruciale, et alerte sur la nécessité d’aligner les législations béninoise et sénégalaise sur les standards internationaux de liberté d’expression.
1. Vous recensez au moins 17 poursuites engagées contre des journalistes ou blogueurs béninois en moins de deux ans sur la base du Code du numérique. Pouvez vous préciser la nature de ces affaires et ce que cela révèle sur l’usage politique de l’article 550 ?
Les chiffres évoqués dans la question renvoient à un ancien communiqué de presse publié il y a cinq ans, le 20 janvier 2020 dans lequel nous avions documenté effectivement la situation d’au moins 17 personnes poursuivies pour violation du code du numérique moins de deux ans après son adoption. Parmi ces personnes se trouvaient des blogueurs, des opposants politiques et surtout des journalistes dont Ignace Sossou et Aristide Fassinou Hounkpèvi poursuivis respectivement à l’époque pour harcèlement par le biais d’une communication électronique et diffusion de fausses informations, faits prévus et réprimer par l’article 550 du code sur le numérique. Le premier a été condamné à une peine de prison ferme alors que le second a été placé sous convocation par la suite. Entre 2020 et 2025, le code du numérique a continué à être utilisé au Bénin pour restreindre la liberté d’expression et le droit des médias. Virgile Ahouansè, journaliste et directeur de l’information de la station de radio en ligne Crystal News a lui aussi fait l’objet d’une condamnation à douze (12) mois d’emprisonnement avec sursis pour diffusion de fausses informations.
Depuis 2020 Amnesty international appelle les autorités béninoises à réviser le code du numérique et à garantir la liberté d’expression et le droit des médias dans le pays. Cet appel converge vers celui du groupe de travail des nations unies sur la détention arbitraire qui a demandé aux autorités béninoises dans son avis sur la détention du journaliste Ignace Sossou rendu public à l’occasion de sa quatre-vingt-huitième session du 24 au 28 août 2020, de réviser sans tarder cette loi dont certaines dispositions sont rédiger en des termes « vagues » et « larges » et « pouvant être utilisés pour punir l’exercice pacifique des droits de l’homme« , de libérer le journaliste et de le dédommager. Ce code sur le numérique comme dit en 2020, instaure un climat de peur et de censure dans le pays.
2. Le gouvernement béninois avait accepté, lors du 4ᵉ cycle de l’Examen périodique universel, de réviser le Code du numérique. Quel bilan tirez vous de la mise en œuvre de ces engagements et quelles dispositions clés doivent absolument disparaître ou être amendées dans la réforme en cours ?
Dans son rapport intitulé « Bénin. Nouvelles lois, nouvelles restrictions aux droits humains : Amnesty international : Communication pour la 42ème session du groupe de travail sur l’EPU, 26 janvier 2023« , Amnesty international a exprimé ses vives préoccupations quant à la dégradation de la situation des droits humains au Bénin. L’organisation a recommandé entre autres au Bénin de réviser la loi sur le numérique, de garantir et de protéger la liberté d’expression en ligne y compris les droits des médias.
A l’issue du processus en juillet 2023 avec l’adoption finale des recommandations, l’Etat béninois a accepté de réviser le code du numérique dans ses dispositions contraires aux standards internationaux en matière de liberté d’expression et du droit des médias, en l’occurrence les articles 550 et suivants. Cette prédisposition des autorités béninoises est à reconnaître même si près de deux ans après, les dispositions du code ne sont toujours pas révisées. Il faut toutefois préciser que la révision a été annoncée est même inscrite à l’ordre du jour de la première session du parlement béninois au titre de l’année 2025. Il faudra veiller à ce que la révision annoncée soit conforme aux recommandations du 4ème cycle de l’EPU et aux standards internationaux mais aussi espérer que la société civile et les faitières des journalistes soient associées pour plus d’inclusion.
3. Les coupes de signal et arrestations de journalistes se multiplient aussi au Sénégal. Quelles recommandations communes adressez vous aux législateurs béninois et sénégalais pour harmoniser leurs lois avec les standards internationaux relatifs à la liberté d’expression ?
Le journalisme libre et indépendant reste et demeure consubstantiel à la vitalité de l’Etat de droit. Les pouvoirs publics au Sénégal et au Bénin devraient s’inspirer des standards internationaux en matière de droits humains et de liberté d’expression dans l’élaboration des lois au niveau national. Le cadre juridique tracé au niveau international est assez clair et devrait servir de boussole pour tous les Etats qui appartiennent à une même communauté de principe et de valeur.