Benin : alerte rouge sur la liberté de la presse


Lecture 5 min.
article de presse

La suspension en chaîne de médias indépendants – deux journaux, trois sites d’information et un compte TikTok depuis janvier 2025 – révèle une offensive sans précédent contre la presse béninoise. À l’heure où le Parlement révise le Code du numérique, Amnesty International, Reporters sans frontières et Internet sans frontières exhortent les députés à supprimer les dispositions liberticides qui étouffent l’information et menacent la démocratie.

Depuis le 21 janvier 2025, la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) a enchaîné les suspensions : d’abord Le Patriote et son site, sanctionnés après un éditorial qui mettait en cause la stratégie sécuritaire du gouvernement, laissant plusieurs journalistes sans emploi ; puis, le 12 mars, Bénin Web TV, accusée d’avoir publié des informations « inexactes » sur le budget et la gouvernance de la HAAC, s’est vu retirer la carte de presse de son directeur général et perdre des annonceurs majeurs.

La chronologie dévoile une escalade inquiétante: en février 2024, la suspension du groupe La Gazette du Golfe, prononcée l’année précédente, s’est soldée par le licenciement de tout le personnel ; en janvier 2024, les sites Crystal News, Reporter Médias Monde, Les Pharaons et le compte TikTok Madame Actu ont été bloqués pour « manque d’autorisation » et « allégations sans fondement », sans que les contenus litigieux soient précisés. Ces décisions administratives, prises sans contrôle judiciaire, installent un climat d’autocensure et menacent la viabilité économique de nombreux médias.

La révision du Code du numérique ne peut plus attendre

Cette situation s’inscrit dans un recul constant de la liberté de presse dans le pays. Le Bénin a encore reculé de 3 places dans le classement mondial 2025 de RSF, passant de la 89e position en 2024 à la 92e position, avec un score qui s’est dégradé. Cette tendance confirme l’érosion progressive des acquis démocratiques du pays.

L’article 550 du Code du numérique punit la « diffusion de fausses informations » de peines de prison, offrant un levier pour museler la presse. Plus précisément, l’alinéa 1er de cet article stipule que « quiconque initie une communication électronique qui contraint, intimide, harcèle ou provoque une détresse émotionnelle chez une personne […] est puni d’une peine d’emprisonnement d’un (01) mois à deux (02) ans et d’une amende de cinq cent mille (500 000) francs CFA à dix millions (10 000 000) de francs CFA« . Le caractère vague de cette formulation, notamment la notion de « détresse émotionnelle« , ouvre la porte à des interprétations abusives et à des poursuites arbitraires contre les journalistes.

Il est important de rappeler que le Code de l’information et de la communication, adopté en 2015, avait supprimé les peines privatives de liberté pour les délits de presse et garantissait le droit d’accès aux sources publiques d’information Rsf. Malheureusement, ce cadre légal est régulièrement contourné depuis 2018 par l’utilisation du Code du numérique pour s’attaquer aux journalistes, particulièrement ceux qui exercent en ligne.

Les poursuites contre les journalistes se sont multipliées ces dernières années. Selon Amnesty International, au moins 17 journalistes, blogueurs et opposants ont été poursuivis en moins de deux ans en vertu du Code du numérique, démontrant l’ampleur de cette répression systématique contre la presse indépendante.

Sénégal : une dérive parallèle

Le Bénin n’est pas un cas isolé. Au Sénégal, autrefois considéré comme l’un des pays les plus libres du continent, les coupes de signal, arrestations et violences contre les reporters se multiplient depuis 2024. La chaîne WALF TV a été brutalement coupée en février 2024 alors qu’elle couvrait des manifestations contre le report de l’élection présidentielle ; depuis, les interruptions d’Internet mobile, les inculpations pour « appel à l’insurrection » et les gardes à vue de directeurs de rédaction se succèdent.

Là encore, des lois sur la cybersécurité ou le numérique justifient des sanctions administratives opaques, sans contrôle judiciaire effectif, avec un impact disproportionné sur la liberté d’informer.

Ce qu’il faut faire maintenant

  • Abolir les peines d’emprisonnement pour délits de presse dans le Code du numérique béninois et dans son équivalent sénégalais.
  • Soumettre toute suspension à une décision judiciaire préalable et motivée ; la HAAC ne doit plus être juge et partie.
  • Assurer l’indépendance budgétaire et la nomination pluraliste des autorités de régulation.
  • Instaurer un mécanisme de recours rapide pour protéger les journalistes contre les poursuites abusives.
  • Associer la société civile et les rédactions à la réforme afin d’en garantir la transparence et l’adhésion.
  • Élaborer des « mécanismes transparents et inclusifs de financement public des médias » pour les aider à préserver leur indépendance face aux pressions économiques et politiques.

Sans réforme immédiate, le risque est clair : un recul durable de l’espace civique et une information sous tutelle. Les parlementaires béninois – et, par ricochet, leurs homologues sénégalais – portent aujourd’hui la responsabilité de préserver un droit fondamental : celui de chaque citoyen à être informé librement et complètement.

Logo Afrik.com
La rédaction d'Afrik, ce sont des articles qui sont parfois fait à plusieurs mains et ne sont donc pas signés par les journalistes
Facebook Instagram
Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News