
Le Bénin vient de reculer à la 92ᵉ place du Classement mondial de la liberté de la presse 2025. Pour Reporters sans frontières, cette dégradation résulte d’une emprise toujours plus forte du pouvoir sur les médias : contrôle éditorial de la télévision publique par un comité venu de la présidence, pressions ciblant les rédactions critiques et recours au Code du numérique pour museler les voix en ligne.
Dans cet entretien, RSF détaille les leviers qui plombent la liberté d’informer et appelle les autorités à réformer d’urgence la régulation et la législation afin de restaurer un véritable pluralisme.
Le Bénin a perdu trois places dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2025, passant de la 89ᵉ à la 92ᵉ position. Quels facteurs ont pesé le plus lourd dans cette dégradation et quelles actions concrètes RSF attend‑elle des autorités pour inverser la tendance ?
RSF : Le score du Bénin a légèrement baissé entre l’année dernière et cette année, faisant diminuer sa position dans le Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF cette année. Au niveau régional, le Bénin est situé à la 21ᵉ place sur les 48 pays d’Afrique subsaharienne, passant d’une situation problématique à une situation difficile en 2025 – malgré une assez faible baisse.
Pour rappel, le score de chaque pays dépend de cinq indicateurs contextuels, qui permettent de comprendre la liberté de la presse sur un territoire dans sa complexité : indicateur politique, légal, économique, socioculturel et sécuritaire. En l’occurrence, les facteurs qui ont pesé le plus lourd dans cette baisse sont les indicateurs politique (-15 places) et légal (-6). A titre d’exemple en termes d’ingérence politique dans la presse, depuis janvier 2024, un comité éditorial composé de membres issus de la présidence et de trois ministères a désormais un droit de contrôle sur l’information diffusée par la télévision publique. Les reportages pour le journal télévisé leur sont envoyés pour validation et des sujets ont été écartés. Il s’agit d’une ingérence inédite, portant atteinte à l’indépendance éditoriale des rédactions. Les médias proches de l’opposition sont, eux, soumis à de fortes pressions.
Pour inverser la tendance, les autorités doivent revoir complètement la composition et les pouvoirs du comité éditorial susmentionné et éviter toute ingérence politique dans la production d’informations. La télévision publique doit offrir aux Béninois une couverture plurielle à même de les informer avec fiabilité des sujets d’intérêt général.
En matière légale, depuis 2018, le Code du numérique est utilisé pour condamner ceux qui exercent en ligne, comme vous le savez, d’où la nécessité de le réviser.
La HAAC justifie ses suspensions par la lutte contre les « fausses informations ». Quelles garanties juridiques ou institutionnelles faudrait‑il instaurer pour que la régulation des contenus n’empiète plus sur le pluralisme et ne se transforme pas en censure ?
RSF : La HAAC reste largement inféodée au pouvoir : ce dernier a une influence décisive sur la nomination des ses principaux responsables. Nombre de médias s’abstiennent de critiquer ouvertement le gouvernement afin d’éviter des sanctions de l’organe de régulation. Afin d’inverser la tendance, le mode de nomination de l’organe de régulation devrait être modifié, afin qu’elle soit complètement indépendante. Il est également nécessaire de bénéficier d’une définition plus claire de ce qui est entendu par « fausses informations ».
3. La répression au Bénin s’inscrit dans une dynamique régionale préoccupante, comme au Sénégal. Comment RSF compte‑t‑elle renforcer la solidarité et la coordination entre rédactions ouestafricaines confrontées à ces attaques ?
RSF continue d’établir un monitoring quotidien des menaces et exactions à l’encontre de la presse en Afrique subsaharienne, avec une attention particulière à l’Afrique de l’Ouest. Il nous arrive de mettre en place des actions de mobilisation et de solidarité, comme en juin 2024 après la censure de plusieurs médias en Guinée.
Les journalistes, notamment d’investigation, en Afrique de l’Ouest paient souvent le prix fort pour leurs enquêtes et révélations, et sont victimes de persécutions, d’attaques physiques et d’arrestations arbitraires. Pour répondre de manière coordonnée et solidaire, nous avons mis en place un réseau d’avocats pour leur proposer une assistance juridique en cas d’arrestation ou de nécessité de saisir des institutions judiciaires régionales. La création de ce réseau d’avocats a aussi pour objectif de proposer aux journalistes des réunions d’informations sur leurs droits. Il a aussi vocation à mobiliser, quand nécessaire, plusieurs avocats sur une même affaire. Un avocat béninois en fait d’ailleurs partie.