
Après une décennie d’existence, EMERGING Valley est devenu le catalyseur d’une nouvelle dynamique économique entre les deux rives de la Méditerranée. L’événement a transformé Aix-Marseille en véritable hub d’innovation euro-africain. Entre success stories concrètes, comme la levée de fonds de 850 000 euros de la tunisienne Cynoia, et politiques publiques structurantes avec le programme Provence Africa Connect, ce rendez-vous a fait la preuve qu’une coopération équilibrée était possible.
À l’approche de sa 10e édition qui revient le 26 novembre 2025, Samir Abdelkrim, son organisateur, revient sur cette décennie qui a vu naître un modèle unique : celui d’une « IA du réel » africaine, frugale et pertinente, qui dialogue avec la puissance technologique européenne. Une vision où Marseille, forte de ses 18 câbles sous-marins et de son écosystème à taille humaine, s’affirme comme le laboratoire naturel de cette innovation responsable et inclusive.
Après bientôt 10 ans d’EMERGING Valley, quel bilan tirez-vous de cette décennie ?
Samir Abdelkrim : En dix ans, EMERGING Valley a prouvé qu’Aix-Marseille pouvait devenir un vrai trait d’union entre l’Europe et l’Afrique. On est passé de l’intuition à la démonstration : celle qu’un écosystème public-privé pouvait se mobiliser sur le long terme autour de l’innovation et de l’investissement entre les deux rives.
Depuis 2017, le sommet a vu naître ou grandir des programmes structurants, comme le Social & Inclusive Business Camp de l’Agence française de développement, qui a formé plusieurs générations d’entrepreneurs à impact, ou encore l’Académie des Talents Méditerranéens du Campus AFD, qui a fait de Marseille un point de rencontre entre jeunes leaders économiques et culturels. Ces initiatives ont ancré dans le temps une dynamique d’échanges concrets entre investisseurs, incubateurs, institutions et startups.
Mais ce qui change tout, c’est que cette dynamique s’est traduite par une politique publique d’accueil réelle. Le programme Provence Africa Connect, porté par la Métropole Aix-Marseille-Provence, en est la preuve. Chaque année, il accompagne des startups africaines qui choisissent de s’implanter ici. En 2024, dix-sept projets venus du continent ont été soutenus et accélérés dans leur implantation économique sur le territoire. Ce sont des chiffres, oui, mais surtout des histoires humaines et économiques qui s’écrivent des deux côtés de la Méditerranée.
Et puis, cette énergie a attiré les grands acteurs mondiaux. Plug and Play, par exemple, a décidé de s’implanter à Marseille sous l’impulsion de Provence Promotion. Ce n’est pas un hasard. Le territoire offre une densité de talents, une puissance numérique et une volonté politique qui le rendent unique.
Aujourd’hui, Aix-Marseille n’est plus seulement un lieu d’accueil, c’est un amplificateur. EMERGING Valley est devenu un laboratoire d’alliances concrètes où l’Europe et l’Afrique innovent ensemble, à égalité, sur le même territoire.
Vous dites que l’Afrique réinvente l’intelligence artificielle à sa manière. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de ces innovations « Tech for Good » ?

Samir Abdelkrim : L’Afrique a une lecture très différente de l’intelligence artificielle. Ici, on ne cherche pas la surenchère technologique, mais la pertinence d’usage. Ce qui compte, c’est l’efficacité, pas la démesure. En quelques années, des entrepreneurs africains ont conçu des IA capables d’optimiser des ressources rares : la donnée, l’énergie, le temps, la santé.
À EMERGING Valley cette année, on mettra en avant cette « IA du réel ». Par exemple, sur la session e-santé portée par la Métropole Aix-Marseille-Provence, plusieurs startups présenteront des solutions low-tech de diagnostic et de suivi médical, capables de fonctionner dans des environnements contraints, avec peu d’énergie et beaucoup d’ingéniosité. C’est une IA qui s’adapte à la réalité du terrain, qui amplifie les capacités humaines au lieu de les remplacer.
Et cette approche résonne avec d’autres démarches dans le monde. Je pense à des chercheuses comme Huyen Tran, accompagnée par l’un de nos partenaires historiques qui est l’Institut de recherche pour le développement, qui utilise l’IA pour réduire l’impact environnemental des infrastructures maritimes. Ce sont des logiques très proches : une technologie maîtrisée, économe et tournée vers le vivant.
Ce qu’on veut montrer, c’est cette convergence. Le Sud innove avec du sens, le Nord avec de la puissance. EMERGING Valley devient le lieu où ces deux approches dialoguent pour bâtir une IA plus humaine et plus responsable.
Beaucoup de startups africaines peinent à passer à l’échelle internationale. Comment EMERGING Valley et ses programmes peuvent-elles les aider à franchir ce cap ?
Samir Abdelkrim : Passer à l’échelle, ce n’est pas qu’une histoire de levée de fonds. C’est une question d’ancrage. Où s’implanter ? Avec qui ? Dans quel cadre ? C’est là qu’EMERGING Valley agit.
On a transformé un événement en un véritable dispositif d’accompagnement. Grâce à Provence Africa Connect, les startups africaines ont accès à un parcours concret : accompagnement réglementaire, mentorat sectoriel, mise en réseau avec les investisseurs, et accès à des outils financiers comme le prêt d’honneur Innov Provence. C’est un « soft-landing » pensé pour durer, pas pour séduire.
Mais EMERGING Valley, c’est surtout un écosystème qui apprend à grandir ensemble. Les startups africaines rencontrent ici des structures comme Marseille Innovation ou le Technopôle de l’Arbois, qui les aident à structurer leurs équipes, leur stratégie et leur business model. Et inversement, les startups européennes découvrent comment s’implanter sur le continent avec un partenaire crédible.
L’idée, c’est de passer du pitch à la coopération durable. À Aix-Marseille, on crée des passerelles où l’investissement s’accompagne d’un vrai transfert de compétences et d’accès au marché. On ne cherche pas à « scaler » seul, mais à « scaler » en réseau. C’est ça, la force d’EMERGING Valley.
Marseille s’impose comme porte d’entrée de l’entrepreneuriat africain en Europe. Quels sont ses atouts concrets par rapport à d’autres hubs ?
Samir Abdelkrim : Marseille n’est pas juste une porte, c’est un pont vivant. La Ville de Marseille déploie une diplomatie économique très innovante et active dans le domaine des Industries Créatives et Culturelles, avec pour ambition de devenir cheffe de file des ICC en Méditerranée. Depuis quelques années, la Métropole Aix-Marseille-Provence s’impose aussi comme un laboratoire d’innovation euro-méditerranéen où talents, capitaux et institutions travaillent ensemble. Ce n’est pas un discours, c’est une réalité quotidienne.
La Métropole Aix-Marseille-Provence a été distinguée European i-Capital en 2023, c’est-à-dire la Capitale Européenne de l’Innovation, ce qui confirme son rôle d’écosystème où « l’innovation se fait et se vit ». Elle compte plus de 600 entreprises dans la healthtech et les industries culturelles, et une vraie capacité d’accueil pour les startups africaines.
Ce qui fait la différence avec Paris, Londres ou Berlin, c’est la proximité. Proximité géographique, bien sûr, mais surtout humaine et culturelle. Ici, la coopération n’est pas un concept, c’est une pratique. Entre les universités, les clusters, les incubateurs et la diaspora, tout le monde se parle. Et avec les 18 câbles sous-marins qui relient Marseille à l’Afrique et à l’Asie, on a littéralement le monde au bout des fibres.
Aix-Marseille, c’est un hub à taille humaine, connecté à la Méditerranée et au monde, où l’on expérimente une innovation plus inclusive, plus ancrée, plus responsable. Un lieu où la tech retrouve du sens.
Pouvez-vous partager quelques success stories concrètes nées d’EMERGING Valley ?
Samir Abdelkrim : Il y en a beaucoup. Chaque année, on voit des startups franchir des caps décisifs à Marseille. L’une des plus récentes, c’est Cynoia, une startup tunisienne de la HR Tech, qui a levé 850 000 euros pendant EMERGING Valley 2023 pour accélérer son expansion en Afrique de l’Ouest. C’est typiquement ce qu’on veut provoquer : transformer une rencontre en passage à l’action.
Mais on a aussi vu éclore des pépites sénégalaises comme Socium, Paps, LAfricaMobile ou Eyone, repérées très tôt à EMERGING Valley, avant qu’elles ne deviennent des références dans leur secteur. Et aujourd’hui, des scale-ups venues d’Afrique australe ou de l’Est — dans la santé, la fintech ou l’énergie — choisissent Marseille comme base pour s’ouvrir à l’Europe.
Ce qui me frappe, c’est qu’on est passé du forum à l’accélérateur. Les connexions deviennent des projets. Les projets deviennent des implantations. Et c’est tout le territoire qui grandit avec eux. C’est ça, le vrai succès d’EMERGING Valley : avoir su créer une plateforme où les entrepreneurs africains et européens ne viennent plus seulement pour parler, mais pour construire.





