Crise politique à Madagascar : l’Assemblée vote la destitution du Président, l’armée annonce qu’elle « prend le pouvoir »


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Andry Rajoelina
Andry Rajoelina

La République de Madagascar traverse l’une des plus graves crises institutionnelles de son histoire contemporaine. Ce mardi 14 octobre 2025, l’Assemblée nationale a voté la destitution du président Andry Rajoelina par une écrasante majorité de 130 voix sur 163. Quelques heures plus tard, des militaires ont annoncé publiquement qu’ils prenaient le contrôle du pays, suspendaient la Constitution ainsi que plusieurs institutions clés, et promettaient une transition politique supervisée par l’armée.

Gravité de la crise sociale et institutionnelle

La journée a commencé de manière explosive à Madagascar. Alors que les députés s’apprêtaient à entamer une importante session portant sur la mise en accusation du Président, la Présidence malgache a publié sur ses réseaux sociaux un décret officialisant la dissolution de l’Assemblée nationale. Cette manœuvre, immédiatement jugée illégale par l’opposition et une large partie de la société civile, a été perçue comme une tentative de fuite en avant de la part du chef de l’État, déjà affaibli par plusieurs semaines de contestation populaire.

En effet, depuis fin septembre, des dizaines de milliers de Malgaches, notamment des jeunes issus du mouvement citoyen Gen Z Madagascar, battent le pavé pour dénoncer les pénuries d’eau et d’électricité, l’inflation, la corruption et la mauvaise gouvernance généralisée. Malgré ce décret présidentiel, les députés ont maintenu leur session. À la mi-journée, la motion de destitution a été adoptée à une majorité écrasante. Le motif principal avancé est l’« abandon de poste », faisant référence au fait que le Président n’a pas exercé certaines de ses fonctions depuis plusieurs semaines, notamment face à la gravité de la crise sociale et institutionnelle.

Le colonel Michael Randrianirina annonce la prise pouvoir

Du côté de la présidence, on parle d’une réunion « dépourvue de toute base légale », considérant que la dissolution de l’Assemblée rendait le vote caduc. Mais ce n’était que le début d’un basculement encore plus spectaculaire. Moins d’une heure après la destitution, des colonnes de blindés du Corps des personnels et services administratifs et techniques de l’armée (CAPSAT) se sont dirigées vers le centre de la capitale, Antananarivo, et se sont positionnées devant le palais présidentiel d’Ambohitsorohitra.

Face à la presse et à la foule réunie sur la place du 13-Mai, le colonel Michael Randrianirina, figure montante de l’armée et connu pour avoir récemment appelé ses collègues à ne plus tirer sur la population, a pris la parole. Il a annoncé que les forces armées prenaient le pouvoir, suspendaient la Constitution en vigueur, et mettaient en place un Conseil des présidents, exclusivement composé d’officiers de l’armée et de la gendarmerie.

La population célèbre ce tournant historique

Dans cette même déclaration, le colonel Randrianirina a également annoncé la suspension du Sénat, de la Haute Cour constitutionnelle, du Haut Conseil pour la défense de la démocratie et de l’État de droit, ainsi que de la Commission électorale nationale indépendante. En revanche, les militaires ont indiqué qu’ils ne dissoudraient pas l’Assemblée nationale, sans en expliquer les raisons précises. En parallèle, ils ont proclamé la création d’une Haute Cour des réformes, destinée à superviser les transformations politiques à venir, bien que sa composition reste à ce stade inconnue.

Sur le plan politique, les militaires ont déclaré vouloir organiser un référendum national d’ici deux ans. Ce scrutin devra, selon leurs mots, permettre au peuple malgache de se prononcer sur les futures orientations institutionnelles du pays. En attendant, un Premier ministre civil sera désigné dans les jours qui viennent, chargé de composer un gouvernement transitoire. Cette annonce a été accueillie par des cris de joie dans plusieurs quartiers de la capitale, où la population, visiblement soulagée de la chute du régime Rajoelina, s’est rassemblée pour célébrer ce tournant historique.

Démission du Président et une refonte complète des institutions

Le contexte de cette crise est d’une rare intensité. Depuis la fin du mois de septembre, les manifestations se multiplient dans tout le pays. L’élément déclencheur a été la multiplication des coupures d’eau et d’électricité, dans un climat d’exaspération face à l’inflation galopante et à la perception d’une élite politique déconnectée des réalités quotidiennes. Rapidement, la contestation a pris une tournure plus politique, exigeant la démission du Président et une refonte complète des institutions.

Parallèlement, une grosse fracture s’est ouverte au sein de l’armée. Une partie des forces de sécurité a refusé d’obéir aux ordres de répression émanant du gouvernement, préférant se ranger du côté de la population. Le CAPSAT, fer de lance de cette fronde militaire, a joué un rôle central dans le retournement de situation. Le colonel Randrianirina, dont l’image s’est imposée comme un symbole d’intégrité et de résistance, a su capitaliser sur ce soutien pour orchestrer la transition actuelle.

L’attention internationale désormais braquée sur Antananarivo

De son côté, le Président Andry Rajoelina aurait, selon plusieurs sources concordantes, quitté le pays dans un avion militaire étranger. Sa localisation actuelle reste incertaine, bien qu’il ait fait diffuser une brève allocution préenregistrée, dans laquelle il conteste sa destitution et appelle à une mobilisation contre ce qu’il qualifie de coup d’État militaire. Pour l’heure, aucun soutien international majeur n’a été exprimé publiquement à l’un ou l’autre camp, bien que plusieurs chancelleries et organisations régionales aient exprimé leur « profonde préoccupation » et appelé au respect de l’ordre constitutionnel.

La situation reste donc extrêmement volatile. Le pays est désormais confronté à un vide juridique et institutionnel sans précédent. L’enjeu des prochains jours sera de savoir si la transition annoncée par les militaires pourra être crédible, inclusive et pacifique, ou si Madagascar s’apprête à entrer dans une période d’incertitude prolongée. La société civile, très active depuis le début du mouvement, pourrait jouer un rôle décisif dans le contrôle de cette transition. L’attention internationale est désormais braquée sur Antananarivo.

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