Crise à Madagascar, Rajoelina : il part comme il était arrivé


Lecture 5 min.
Le Président malgache, Andry Rajoelina
Le Président malgache, Andry Rajoelina

Dimanche 12 octobre 2025, selon RFI, le Président malgache, Andry Rajoelina, a été exfiltré par un avion militaire français et n’est plus sur le sol national. D’après les informations, l’opération se serait déroulée après un transfert en hélicoptère vers l’île Sainte-Marie, puis un embarquement pour La Réunion avant un départ vers une destination encore incertaine. Paris affirme toutefois qu’il n’interviendra pas militairement dans la crise.

Le départ spectaculaire de l’ancien homme fort de Madagascar a quelque chose de symétrique et d’ironique : Rajoelina est arrivé au pouvoir en 2009 dans un contexte de rupture, porté par la rue et appuyé par des segments de l’armée, une dynamique aujourd’hui inversée, où une partie des forces qui l’avaient soutenu ou peut-être instrumentalisé semblent se retourner contre lui. Recomposer ce parcours aide à comprendre pourquoi la Grande Île est à nouveau confrontée à une crise dont les ressorts s’apparentent à ceux du passé.

2009 : l’ascension par la rue et l’armée

En 2009, Andry Rajoelina, alors maire d’Antananarivo et animateur d’une puissante chaîne privée, a mené une mobilisation de masse contre le Président Marc Ravalomanana. Les manifestations ont dégénéré ; le palais présidentiel a été investi par des soldats, et Ravalomanana a fini par céder le pouvoir, lequel a rapidement été transféré à Rajoelina via la tutelle militaire. La communauté internationale qualifia alors cette prise de pouvoir d’« anticonstitutionnelle » ; Madagascar a subi isolement et pertes d’aide. Cet épisode fit de Rajoelina l’homme providentiel d’un « changement » appuyé sur la colère populaire et l’appui d’unités armées.

Plus qu’un simple coup d’État, la crise de 2009 a montré la combinaison d’une instrumentalisation médiatique, d’un leadership populiste et d’une capacité à nouer des alliances avec des acteurs militaires prêts à faire basculer les institutions. Andry Rajoelina, jeune et médiatique, sut capter le ressentiment urbain et convertir la rue en force politique.

2019–2023 : retour institutionnel et fragilité de la légitimité

Après une période de transition de 4 ans et un mandat présidentiel de son ancien ministre des Finances élu à la tête de l’État en 2013, Rajoelina est revenu à la Présidence par la voie électorale (élu en 2018/2019), puis reconduit en 2023. Sa présidence plus récente a été marquée par des ambitions de développement (infrastructures, projets dits « visionnaires ») mais aussi par des critiques sur la gouvernance, l’accumulation de pouvoir et des élections parfois contestées. Sa capacité à transformer la popularité ponctuelle en ancrage institutionnel s’est révélée incomplète : l’autorité a reposé en partie sur des réseaux personnels, une communication côtoyant le populisme, et sur un appareil sécuritaire dont la loyauté n’est jamais totalement garantie.

Cette fragilité explique en partie pourquoi une crise née de revendications sociales — en l’occurrence des manifestations déclenchées le 25 septembre 2025 contre des coupures d’eau et d’électricité — a pu rapidement se politiser et déboucher sur des ruptures au sein des forces de sécurité. Celui qui avait su capitaliser sur la rue en 2009 se retrouve aujourd’hui contraint de fuir sous protection lors d’un épisode où l’armée elle-même change de camp.

2025 : les mêmes acteurs, les mêmes mécaniques, à l’envers

Les événements de 2025 suivent une trame familière : contestation sociale transformée en crise politique, intervention ou basculement d’unités militaires clés (notamment l’unité CAPSAT), et une mise en cause de la légitimité présidentielle. Mais la cinématique est inversée. Là où Rajoelina avait su, en 2009, fédérer une jeunesse urbaine et trouver un appui militaire pour renverser l’ordre, en 2025 ce sont des composantes de l’appareil sécuritaire qui, nourries par le mécontentement populaire, mettent en cause son maintien au pouvoir. Des unités autrefois décisives pour sa montée semblent aujourd’hui être l’outil de son renversement.

La décision — rapportée — d’autoriser son évacuation via un avion militaire français et le rôle supposé d’un accord « de Président à Président » entre Andry Rajoelina et Emmanuel Macron rappellent un autre trait : la dimension internationale des crises malgaches. En 2009 comme aujourd’hui, les appuis et sanctuaires extérieurs (alliances diplomatiques, exils possibles, ou soutiens logistiques) jouent un rôle décisif pour les sorties de crise. RFI et d’autres sources indiquent que, malgré l’aide consentie, Paris nie toute intervention militaire directe dans la crise.

Paradoxes et leçons : le pouvoir par la rue, la chute par la rue

L’histoire circulaire de Rajoelina illustre un paradoxe : s’appuyer sur la rue pour accéder au pouvoir laisse un héritage toxique — un mode de gouvernance fondé sur l’instant, le charisme et des alliances circonstancielles — qui rend vulnérable lorsqu’un même terrain de rue se retourne contre le leader. Le recours aux unités militaires comme arbitres politiques, plutôt que le renforcement d’institutions civiles robustes, crée des dépendances dangereuses. Enfin, l’option d’un exil négocié souligne qu’à l’ère contemporaine, l’issue d’un fauteuil présidentiel peut dépendre autant d’accords internationaux que d’équilibres internes.

Face à la situation actuelle, plusieurs issues demeurent possibles : une transition pilotée par des militaires ou un gouvernement d’union incluant des figures civiles ; une mise en place d’un exécutif intérimaire mené par le Premier ministre ou le Parlement — si ces institutions tiennent — ; ou, à l’inverse, une période d’instabilité prolongée avec risques de violences et d’isolement international. Les chancelleries observent, et les conséquences économiques (suspension d’aides, chute du tourisme) peuvent aggraver le ressentiment social qui a déclenché la crise.

Avatar photo
Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
Facebook Linkedin
Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News