Crise en haut lieu au Sénégal : Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko, une alliance déjà fissurée ?


Lecture 5 min.
Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko
Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko

La scène politique sénégalaise traverse une zone de turbulence inattendue. En nommant Aminata « Mimi » Touré à la tête de la Coalition Diomaye Président à la place d’Aïda Mbodj, le chef de l’État Bassirou Diomaye Diakhar Faye a déclenché un séisme politique aux allures de désaveu envers son Premier ministre Ousmane Sonko. Un acte fort, qui révèle en filigrane les premières divergences publiques entre les deux figures de l’exécutif sénégalais, pourtant portées au pouvoir par une même dynamique de rupture.

Pour rappel, le Président Faye avait annoncé, dans un communiqué officiel daté du 11 novembre 2025, la fin de mission d’Aïda Mbodj, tout en saluant son engagement lors de la présidentielle de mars 2024. Il justifie cette réorganisation par « la léthargie et les divisions persistantes » au sein de la coalition. Mais derrière cette explication institutionnelle, beaucoup y voient un réglage de comptes politique, révélateur d’un malaise croissant entre les deux têtes de l’exécutif.

Diomaye Faye reprend la main : la fin d’une cohabitation tacite ?

Jusqu’ici perçu comme calme, réfléchi et discret, Bassirou Diomaye Faye semblait avoir trouvé la formule idéale pour coexister avec son charismatique Premier ministre, Ousmane Sonko. Son silence face aux controverses et sa posture apaisée avaient séduit une partie de l’opinion publique, soucieuse de stabilité après des années de tensions politiques. Mais la nomination de Mimi Touré marque une rupture. Ce choix, effectué sans consultation apparente avec Sonko, est interprété par de nombreux analystes comme un acte d’autorité : Diomaye Faye cherche à reprendre la main politique et à s’affirmer face à un Premier ministre jugé parfois « trop présent ».

Selon le politologue Moussa Diaw, il s’agit d’« une erreur de communication » : « Le Président a publiquement désavoué son Premier ministre. Il aurait pu régler cela en interne, sans exposer les divergences au grand jour ». Une critique partagée par plusieurs observateurs, qui voient dans cette séquence une erreur stratégique majeure du chef de l’État. En affichant ces désaccords, le duo Sonko-Diomaye donne l’image d’un pouvoir divisé, alors même que les attentes des Sénégalais restent élevées sur le plan économique et social.

Le choix de Mimi Touré : symbole ou calcul politique ?

Le retour de Mimi Touré, ancienne Première ministre et figure expérimentée, est loin d’être anodin. Présentée comme « fédératrice » par le Président, elle avait supervisé la campagne victorieuse de 2024. Son profil rassure une partie de l’appareil d’État, mais suscite aussi la méfiance des partisans du Pastef, le parti fondé par Sonko. En interne, Ousmane Sonko aurait plaidé pour Aïda Mbodj, fidèle alliée et militante respectée. Le choix présidentiel est donc perçu comme un camouflet politique pour le Premier ministre, d’autant plus que la coalition « Diomaye Président » est historiquement issue de la dynamique Sonko-Diomaye

Le politologue Babacar Ndiaye s’interroge sur le timing et la pertinence de cette décision : « Pourquoi relancer cette coalition alors que le Pastef, seul, a remporté les Législatives ? Ce choix traduit peut-être une volonté du Président de préparer un second mandat en 2029 ». Une hypothèse crédible, renforcée par la phrase-clé du communiqué présidentiel évoquant la « vulgarisation positive de l’action du gouvernement ». En d’autres termes, une coalition au service de la communication présidentielle, et non de la gouvernance partagée.

Sonko et Faye : des ambitions désormais concurrentes ?

L’alliance Sonko-Diomaye, née de la persécution politique du premier et de la loyauté du second, a porté un message fort : celui d’un renouveau démocratique. Mais à peine un an après leur accession au pouvoir, la symbiose semble s’effriter. Diomaye Faye, Président institutionnel, veut consolider l’État et maîtriser les équilibres. Sonko, chef politique du Pastef, cherche à garder son influence populaire et militante. Deux logiques qui, aujourd’hui, s’entrechoquent.

Le risque, selon plusieurs analystes, est de voir s’installer une crise institutionnelle entre la présidence et la primature. Une telle fracture, dans un contexte où les réformes économiques et sociales peinent à se concrétiser, pourrait fragiliser la jeune alternance.

Vers un grand tournant politique au Sénégal

L’affaire de la Coalition Diomaye Président dépasse la simple querelle de personnes. Elle pose une question fondamentale : qui détient réellement le pouvoir au Sénégal ?
Entre un président en quête d’autorité et un Premier ministre auréolé d’un fort capital politique, le risque est grand de voir naître une dualité paralysante au sommet de l’État. En choisissant Mimi Touré, Diomaye Faye a voulu prouver qu’il est bien le seul maître du jeu politique. Mais cette démonstration de force pourrait se retourner contre lui si elle accentue les fractures au sein du camp présidentiel.

À l’heure où les Sénégalais espéraient un gouvernement uni et réformateur, l’exécutif semble pris dans ses propres contradictions. L’histoire politique du Sénégal retiendra peut-être cette séquence comme le premier test de maturité du tandem Sonko-Diomaye, ou comme le début d’une rivalité ouverte au sommet de l’État.

Avatar photo
Une plume qui balance entre le Sénégal et le Mali, deux voisins en Afrique de l’Ouest qui ont des liens économiques étroits
Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News