
Au Sénégal, le pouvoir s’organise autour d’un cap stratégique affirmé, mêlant fidélité politique et ambition de transformation radicale. Plus d’un an après son arrivée au pouvoir, le tandem Diomaye-Sonko imprime sa marque à l’appareil d’État en procédant à un remaniement gouvernemental aux allures de resserrement idéologique. Dans un contexte de fortes attentes sociales et de turbulences économiques, cette nouvelle recomposition ministérielle dévoile les priorités d’un régime en quête d’efficacité, de cohésion, mais aussi de contrôle.
Le Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye vient d’opérer un remaniement stratégique de son gouvernement, dans un climat marqué à la fois par une volonté de rupture avec le passé et par de lourds défis économiques. Le changement intervient dans un moment clé de la transition politique enclenchée par l’arrivée au pouvoir du parti PASTEF – Les Patriotes, avec à sa tête le duo formé par Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko, deux figures fondamentales de l’opposition ayant renversé l’ordre politique établi par Macky Sall.
Une nouvelle gouvernance aux couleurs du renouveau
Dans un décret rendu public à la télévision nationale le samedi 6 septembre, le chef de l’État a annoncé plusieurs modifications dans la composition du gouvernement, touchant des ministères stratégiques comme la Justice, l’Intérieur, et les Affaires étrangères. Cheikh Niang, un diplomate chevronné, ancien ambassadeur aux Nations Unies à New York et représentant du Sénégal dans plusieurs pays, a été nommé ministre des Affaires étrangères. Il succède à Yassine Fall, proche du PASTEF, qui prend désormais la tête du ministère de la Justice.
Elle remplace Ousmane Diagne, magistrat respecté mais dont la gestion du portefeuille a suscité des critiques internes au pouvoir, notamment sur le rythme des réformes judiciaires promises. Autre changement majeur : le ministère de l’Intérieur passe aux mains de Mouhamadou Bamba Cissé, avocat personnel du Premier ministre Sonko, désigné pour sa loyauté et son engagement idéologique dans le projet de refondation porté par le régime actuel.
Sonko durcit le ton : « Un gouvernement d’engagement et de combat »
Prenant la parole lors de la présentation de la nouvelle équipe, Ousmane Sonko n’a pas mâché ses mots. « Ce ne sera pas un gouvernement de villégiature, mais un gouvernement d’engagement et de combat », a-t-il déclaré. « Nous serons intransigeants et très exigeants. Il faudra travailler 24h/24, 7j/7, compte tenu de la situation que nous avons héritée », a-t-il martelé.
Le Premier ministre, dont la popularité est restée forte malgré une exclusion controversée de la Présidentielle de mars 2024, insiste sur l’urgence de réconcilier l’État avec les citoyens, en particulier sur le front de la justice. Le remplacement d’Ousmane Diagne par Yassine Fall est présenté comme une volonté de donner un visage nouveau à une institution minée, selon le pouvoir, par la lenteur des procédures et des soupçons de politisation.
Le poids du passé et l’héritage économique
Le gouvernement hérite d’une situation économique jugée alarmante. Le déficit budgétaire atteint 14%, tandis que la dette publique s’élève à 119% du PIB, des chiffres que le PASTEF accuse l’ancien régime d’avoir volontairement minimisés. Le taux de chômage avoisine 20%, et près de 36% des Sénégalais vivent sous le seuil de pauvreté, selon les données officielles.
Dans ce contexte, Sonko a présenté début août un plan de redressement économique et social qui mise principalement sur des financements internes, à hauteur de 90 %, pour restaurer la souveraineté économique du pays. Ce plan entend rompre avec la dépendance extérieure, notamment vis-à-vis du Fonds Monétaire International, avec lequel des négociations sont tout de même en cours pour un nouvel appui financier.
PASTEF au pouvoir : une révolution démocratique ?
L’accession de Bassirou Diomaye Faye à la présidence en avril 2024, après une campagne électorale exceptionnelle marquée par l’emprisonnement de Sonko et la disqualification de sa candidature, a été vécue comme une onde de choc politique. Le PASTEF, longtemps réprimé, a su canaliser une contestation populaire en un véritable projet politique. Le duo Diomaye–Sonko incarne aujourd’hui une volonté de rupture totale avec les pratiques du passé, prônant transparence, souveraineté, justice sociale et indépendance économique.
Toutefois, cette ambition ne va pas sans difficultés. Le remaniement de septembre 2025, bien que salué par une partie de la population et des partisans du régime, révèle aussi les tensions internes et les arbitrages politiques difficiles auxquels se confronte le jeune pouvoir. La nomination de fidèles comme Bamba Cissé et le recentrage des ministères autour des piliers du projet PASTEF montrent que le pouvoir entend rester maître de son tempo politique, quitte à s’attirer les foudres d’une opposition en quête de renouveau.