Condamnation de Betty Lachgar au Maroc : la liberté d’expression sous pression


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« Betty » Lachgar
« Betty » Lachgar

Le 4 septembre 2025, un tribunal marocain a condamné la militante féministe Ibtissame « Betty » Lachgar à 30 mois de prison ferme pour « atteinte à l’islam », une décision qui suscite de vives réactions tant au Maroc qu’à l’international.

Le tribunal de première instance de Rabat a prononcé ce mercredi 4 septembre une peine de 30 mois de prison ferme contre la militante féministe de 50 ans, accompagnée d’une amende de 50 000 dirhams marocains (environ 5 000 euros). Cette condamnation fait suite à la publication fin juillet sur les réseaux sociaux d’une photo d’elle vêtue d’un t-shirt où apparaissait le mot « Allah » suivi de la phrase « is lesbian » (« est lesbienne »), jugée « offensante envers Dieu » selon la justice marocaine.

Détenue depuis le 12 août à la prison d’El Arjat, près de Rabat, Betty Lachgar a justifié son geste devant le tribunal. Lors de l’audience, elle a déclaré que son t-shirt reprenait « un slogan féministe qui existe depuis des années contre les idéologies sexistes et les violences faites aux femmes (…) et n’a aucun rapport avec l’islam« . Elle n’a pas été entendu

Un parcours militant

Psychologue clinicienne de formation, Ibtissame Lachgar a cofondé en 2009 le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI) et a mené plusieurs campagnes médiatisées notamment contre les violences faites aux femmes. Cette figure emblématique du féminisme marocain n’en est pas à sa première confrontation avec les autorités.

Par le passé, le militantisme d’Ibtissame Lachgar lui a valu plusieurs démêlés avec les autorités, notamment en 2016 et 2018, mais sans jamais donner lieu à des poursuites. Cette fois-ci, l’un de ses avocats a rappelé qu’elle avait déjà été entendue en 2022 par la police au sujet de cette même photo, sans qu’aucune poursuite ne soit engagée. La condamnation de ce jour montrrait donc une évolution négative de la liberté d’expression dans le Royame chérifien.

La condamnation s’appuie sur l’article 267-5 du Code pénal marocain, qui punit de six mois à deux ans de prison ferme « quiconque porte atteinte à la religion musulmane« . La peine est susceptible d’être portée à cinq ans d’emprisonnement si l’infraction est commise en public, « y compris par voie électronique« .

Cette législation illustre la tension permanente au Maroc entre, d’une part, une Constitution qui garantit la liberté d’expression, et d’autre part, un Code pénal qui maintient des dispositions strictes concernant la religion, les bonnes mœurs et l’ordre public.

L’Association marocaine des droits humains a exprimé dans un communiqué sa « profonde inquiétude » face à l’arrestation de l’activiste pour ce qui « relève de la liberté d’expression et d’opinion« .

C’est surtout à l’international que la résistance s’organise. Le 15 août, une manifestation de soutien a eu lieu à Paris demandant la libération de la militante, à l’initiative du Front féministe international.

Une affaire révélatrice des tensions sociétales

Au-delà des enjeux juridiques, l’affaire soulève des questions humanitaires. L’avocat de la militante, Me Mohamed Khattab, a fait part de ses inquiétudes concernant l’état « psychique » de sa cliente. La défense évoque l’état de santé critique de Lachgar, soulignant son besoin urgent de soins médicaux pour éviter des complications graves, notamment le risque d’amputation partielle de son bras.

Au-delà de l’urgence médicale, la défense a également dénoncé les conditions de détention de Lachgar, placée en isolement et privée de promenade collective.

L’avocat de Betty Lachgar, Me Mohamed Khattab, a fait part de son intention de faire appel de cette condamnation, arguant que « sur le plan juridique, il existe désormais la loi sur les peines alternatives« .

Cette condamnation cristallise les tensions entre tradition et modernité dans une société marocaine en mutation, où les questions de liberté d’expression, de droits des femmes et de place de la religion dans l’espace public font l’objet de débats. Cette condamnation s’inscrit dans une dérive répressive préoccupante au Maroc, où la liberté d’expression se trouve de plus en plus menacée par un arsenal juridique utilisé pour faire taire les voix dissidentes.

Zainab Musa
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Zainab Musa est une journaliste collaborant avec afrik.com, spécialisée dans l'actualité politique, économique et sociale du Maghreb et de l'Afrique de l'Ouest. À travers ses enquêtes approfondies et ses analyses percutantes, elle met en lumière des sujets sensibles tels que la corruption, les tensions géopolitiques, les enjeux environnementaux et les défis de la transition énergétique. Ses articles traitent également des évolutions sociétales et culturelles, notamment à travers des reportages sur les figures influentes du Maroc et de l’Algérie. Son approche rigoureuse et son regard critique font d’elle une voix incontournable du journalisme africain francophone.
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