
L’armateur français CMA CGM reprend langue avec l’Algérie après des mois de tensions diplomatiques. La rencontre entre Rodolphe Saadé et le président Tebboune relance un projet portuaire d’envergure qui pourrait redessiner la carte logistique méditerranéenne et qui montre un réchauffement des relations entre la France et l’Algérie.
Le chef de l’État algérien, Abdelmadjid Tebboune, a reçu ce lundi au Palais d’El-Mouradia Rodolphe Saadé, PDG du groupe CMA CGM, troisième armateur mondial. Cette audience officialise la relance des discussions entre les deux parties après des mois d’incertitude. Le communiqué présidentiel, diffusé dans l’après-midi, confirme que les dirigeants « ont passé en revue les opportunités de coopération dans le domaine portuaire et logistique », marquant ainsi un tournant dans un dossier longtemps suspendu aux aléas diplomatiques.
Les prémices d’une ambition maritime révélée
Ce projet ne surgit pas du néant. Dès novembre 2024, Afrik.com révélait qu’Alger et CMA CGM avaient l’ambition de transformer le littoral en hub maritime majeur. L’article soulignait déjà l’appétit du groupe marseillais pour un accès stratégique au marché maghrébin et aux corridors commerciaux vers l’Afrique subsaharienne, notamment via le port en eau profonde de Djen Djen. Cette vision s’inscrivait dans une logique de diversification économique algérienne, cherchant à réduire sa dépendance aux hydrocarbures.
Entre novembre et le printemps 2025, le projet a été brutalement interrompu par les piques lancées par Bruno Retailleau qui a entrainé une détérioration spectaculaire des relations franco-algériennes. Rappels d’ambassadeurs, querelles mémorielles et blocages commerciaux ont créé un climat délétère qui a directement impacté les négociations privées. Cette crispation diplomatique a déjà entraîné le report, en avril dernier, de la visite que Saadé devait initialement effectuer pour signer un premier protocole d’accord. Le monde des affaires se retrouvait ainsi otage des tensions politiques.
Un projet aux contours qui se précise
Les discussions reprises révèlent l’ampleur des ambitions partagées. CMA CGM envisage de prendre en concession le terminal à conteneurs d’Oran via sa filiale CMA Terminals, avec un programme de modernisation incluant la rénovation des quais, des opérations de dragage et l’automatisation des portiques. Cette transformation devrait porter les capacités portuaires au-delà d’un million d’équivalents vingt pieds (EVP) par an tout en créant environ 2 000 emplois directs.
Le volet maritime prévoit l’établissement d’une ligne régulière avec Marseille, siège de CMA CGM opérée par La Méridionale, filiale du groupe, avec des porte-conteneurs fonctionnant au GNL. Cette rotation rapide vise à réduire le temps de transit France-Maghreb à moins de 48 heures, révolutionnant ainsi les échanges commerciaux entre les deux rives de la Méditerranée.
L’infrastructure terrestre n’est pas en reste avec le développement d’une base logistique intégrée répartie entre Oran et Djen Djen. Cette plateforme comprendra des entrepôts sous douane, un dépôt de conteneurs réfrigérés et une infrastructure dédiée au e-commerce, autant d’éléments destinés à stimuler les exportations algériennes hors hydrocarbures.
Des intérêts convergents de part et d’autre
Cette alliance répond à des impératifs stratégiques partagés. Pour l’Algérie, le partenariat avec CMA CGM représente un levier de diversification économique crucial, permettant de réduire la dépendance aux revenus pétroliers et gaziers tout en modernisant l’appareil logistique national. Le projet vise également à décongestionner le port d’Alger en rééquilibrant les flux vers l’ouest avec Oran et l’est avec Djen Djen. L’accès au savoir-faire d’un opérateur présent dans 420 ports et 160 pays constitue un atout technologique et commercial de taille.
Du côté de CMA CGM, l’Algérie offre un positionnement géostratégique au cœur d’un marché maghrébo-subsaharien de 450 millions d’habitants avec une . Cette implantation créerait une complémentarité naturelle avec les terminaux du groupe à Tanger Med, Valence et Fos-sur-Mer, formant ainsi une véritable « grappe » méditerranéenne intégrée.
Le contexte de « near-shoring » des chaînes d’approvisionnement européennes, recherchant des solutions logistiques à moins de quatre jours de navigation, renforce l’attractivité de cette position.
Une feuille de route encore à concrétiser
Selon nos informations, les équipes techniques de CMA Terminals et de l’Entreprise portuaire d’Oran travaillent à finaliser un plan d’investissements pluriannuel d’ici l’automne. La ratification définitive pourrait intervenir avant la fin 2025, sous réserve d’un apaisement durable du climat diplomatique franco-algérien. Parallèlement, un comité mixte Algérie-CMA CGM doit évaluer les modalités de développement d’un second hub à Djen Djen, spécifiquement orienté vers les trafics avec l’Afrique de l’Ouest.
La visite de Rodolphe Saadé à Alger marque la résurrection d’un chantier que beaucoup considéraient comme définitivement enterré sous les coups de boutoirs des Droites françaises. Et même cette visite peut être interprétée comme un signe fort de réchauffement entre la France et l’Algérie.