
À dix jours de l’élection présidentielle centrafricaine, la Global Initiative Against Transnational Organized Crime publie un rapport accablant sur les aventures crypto du président Touadéra. Du Sango Coin au meme coin $CAR, l’ONG documente une succession d’échecs, d’opacité financière et de risques de mainmise criminelle sur les ressources d’un des pays les plus pauvres du monde.
Un rapport de la Global Initiative Against Transnational Organized Crime révèle que les initiatives cryptomonnaies du président Touadéra exposent la République centrafricaine aux organisations criminelles internationales, sans bénéfices tangibles pour la population.
Alors que la République centrafricaine (RCA) s’apprête à tenir son élection présidentielle le 28 décembre 2024, avec le président sortant Faustin-Archange Touadéra candidat à un troisième mandat, un rapport accablant publié ce 17 décembre par l’Observatoire de l’Afrique centrale de la Global Initiative Against Transnational Organized Crime (GI-TOC) dresse un bilan sévère de la stratégie crypto du pays.
Le Sango Coin : un échec retentissant
Lancé en 2022 avec de grandes ambitions, le Sango Coin devait incarner la modernisation économique du pays. Ce projet, présenté comme une cryptomonnaie nationale adossée au bitcoin, promettait d’attirer les investissements étrangers, de financer les infrastructures et même de créer une « Crypto City » dans la capitale Bangui.
En échange de l’acquisition de tokens, les investisseurs étrangers se voyaient promettre la citoyenneté centrafricaine, un statut de e-résident et un accès privilégié aux ressources minières et forestières du pays. La Cour constitutionnelle a toutefois invalidé plusieurs de ces dispositions, jugeant que la citoyenneté, la résidence et les terres ne pouvaient être acquises par cryptomonnaie.
Le résultat est sans appel : sur les 210 millions de tokens prévus, environ 10 % seulement ont trouvé preneur, générant moins de 2 millions d’euros. Le rapport souligne qu’aucune comptabilité publique n’a été fournie sur l’utilisation de ces fonds. Les projets de « crypto-cité » et d’« île crypto » n’ont jamais vu le jour.
Le meme coin $CAR : spéculation et zones d’ombre
Malgré cet échec, le gouvernement Touadéra a relancé ses ambitions crypto en février 2025 avec le lancement d’un meme coin baptisé $CAR. Selon le rapport, ce jeton présente des similitudes troublantes avec le TRUMP coin lancé un mois plus tôt, tous deux construits sur la blockchain Solana avec une concentration massive des tokens entre les mains d’entités proches des créateurs.
Nathalia Dukhan, directrice de l’Observatoire de l’Afrique centrale au GI-TOC, souligne que près de 80 % de l’offre de tokens était contrôlée par un seul portefeuille lié au développeur anonyme du projet. Le cours du $CAR a brièvement atteint une capitalisation de plus de 900 millions de dollars avant de s’effondrer.
Le lancement lui-même a été chaotique : enregistrement du site web à la dernière minute, comptes sur les réseaux sociaux suspendus, soupçons de matériel promotionnel généré par intelligence artificielle. Le gouvernement a ensuite utilisé ce meme coin pour tokeniser des terres, proposant 1 700 hectares en concession de 99 ans payables en $CAR. Fin 2025, les ventes représentaient environ 38 000 dollars, sans preuve que ces revenus aient bénéficié au Trésor public.
Un cadre juridique insuffisant face aux risques criminels
Le rapport met en lumière un cadre réglementaire gravement lacunaire. En juillet 2023, le parlement centrafricain a adopté une loi permettant la tokenisation des ressources naturelles, autorisant la représentation sur blockchain de terres, minerais et bois. Selon les chercheurs du GI-TOC, cette législation manque de garde-fous essentiels contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Ces initiatives crypto s’inscrivent dans un contexte de dépendance croissante du pouvoir centrafricain envers des acteurs extérieurs, notamment le groupe russe Wagner, accusé par les Nations unies de violations massives des droits humains en échange d’un accès privilégié aux ressources naturelles.
Le rapport constate que plusieurs figures impliquées dans la promotion des projets crypto ont été accusées ou condamnées pour fraude ou trafic de ressources dans d’autres juridictions, renforçant les craintes de « capture de l’État » par des réseaux criminels transnationaux.
Un paradoxe centrafricain
L’un des aspects les plus frappants du rapport concerne le décalage entre les ambitions numériques affichées et la réalité du terrain. Dans un pays où l’accès à l’électricité, à la téléphonie mobile et à internet reste extrêmement limité, et où une grande partie de la population est touchée par le déplacement, l’insécurité et la pauvreté, la participation des citoyens aux marchés des cryptomonnaies relève de l’irréalisme.
Le rapport conclut que la cryptomonnaie en RCA fonctionne moins comme un outil de développement inclusif que comme un mécanisme favorisant les intérêts d’une élite tout en exposant le pays à des risques accrus d’abus financiers, de perte de souveraineté et de mainmise criminelle.
Un haut responsable gouvernemental, cité par la presse, a rejeté ces conclusions comme « politiquement motivées ». Il argue que les initiatives crypto offrent des alternatives à des systèmes financiers qui ont historiquement exclu le pays.
Telecharger le rapport Behind the blockchain: Cryptocurrency and criminal capture in the Central African Republic » et a été publié le 17 décembre 2025 par l’Observatoire de l’Afrique centrale (CA-Obs) de la Global Initiative Against Transnational Organized Crime.




