
Le groupe Canal+ a officialisé lundi 22 septembre 2025 le rachat du géant sud-africain MultiChoice, concluant ainsi une procédure de près de deux ans et devenant incontestablement « le leader » du secteur audiovisuel en Afrique. Cette acquisition, qualifiée de « plus grande opération jamais réalisée » par le groupe français, marque l’aboutissement d’une stratégie d’expansion continentale ambitieuse mais périlleuse.
L’opération de rachat valorise MultiChoice à 2,5 milliards d’euros, avec une offre de 125 rands (6,07 euros) par action, permettant à Canal+ de s’emparer du leader de la télévision payante en Afrique anglophone et lusophone. Avec l’ajout de MultiChoice, le groupe compte désormais plus de 40 millions d’abonnés dans près de 70 pays d’Afrique, d’Europe et d’Asie, et près de 17 000 salariés.
Le déclin programmé de MultiChoice : une bouée de sauvetage nécessaire
Ce rachat s’apparente à une opération de sauvetage pour MultiChoice, qui traverse une crise sans précédent. En 2025, MultiChoice a perdu 1,2 million d’abonnés DStv, soit une baisse de 8%, ramenant sa base à 14,5 millions d’abonnés actifs. Sur deux ans, ce sont 2,8 millions d’abonnés qui ont abandonné les services du groupe, une érosion massive qui touche l’ensemble des marchés africains.
Pour l’année fiscale clot le 31 mars 2025, MultiChoice présente des pertes opérationnelles ajustées de 800 millions de rands (environ 44,4 millions de dollars), témoignant de la gravité de la crise structurelle que traverse le groupe. La volatilité et l’affaiblissement des monnaies locales, les problèmes d’électricité sur des marchés comme l’Afrique du Sud et la faiblesse de la consommation due à l’inflation ont créé un environnement extrêmement difficile.
Cette détérioration s’explique par plusieurs facteurs convergents : la disruption numérique causée par la montée du streaming, du piratage et des réseaux sociaux qui ont fondamentalement modifié le paysage du divertissement vidéo, créant une concurrence féroce pour les services traditionnels par satellite. Les défis infrastructurels persistent également, avec des pénuries d’électricité en Zambie, Zimbabwe et Malawi, des problèmes d’alimentation et de carburant au Nigeria, et des troubles civils au Mozambique.
Un pari risqué à plusieurs milliards
Pour Canal+, cette acquisition représente un pari colossal sur l’avenir du continent africain. La population subsaharienne s’élève aujourd’hui à 1,2 milliard de personnes et devrait atteindre les 2 milliards d’habitants en 2050, justifiant théoriquement cette stratégie d’expansion.
Cependant, les défis sont considérables. La France, berceau historique du groupe, ne compte plus qu’un tiers environ des abonnés du groupe de Vincent Bolloré, révélant une dépendance croissante aux marchés africains où la volatilité économique et politique reste élevée. Ce marché est plus porteur que l’Europe, où la compétition est féroce et l’évolution des usages rapide, mais il s’accompagne de risques spécifiques.
La création d’une structure complexe pour respecter la réglementation sud-africaine illustre ces défis. Pour se conformer aux lois sur la radiodiffusion, les activités sud-africaines de MultiChoice seront transférées à une nouvelle entité – LicenceCo – détenue majoritairement par des personnes historiquement désavantagées, Canal+ détenant 20 % des droits de vote dans LicenceCo.
La question épineuse du contenu africain
L’une des promesses centrales de Canal+ concerne le développement de la production locale. Entre 2019 et 2023, Canal + a multiplié la production de séries africaines qui ont contribué à attirer plus d’abonnés sur le continent. Le groupe s’est positionné comme un acteur majeur avec des participations majoritaire dans les sociétés de production ROK Studios au Nigeria, Plan A en Côte d’Ivoire, et Zacu Entertainment au Rwanda. Le groupe français possède également des parts du studio sénégalais Marodi TV.
En Afrique francophone, sa filiale Canal+ International édite 32 chaînes spécifiques (Maboke TV, chaîne en lingala, Nollywood TV, A+ Ivoire, Nathan TV) et finance des programmes dédiés à ses abonnés en Afrique – comme des séries Canal+ Originals telles que Invisibles ou Cacao.
Toutefois, malgré ces investissements, la part réelle des programmes africains dans la grille de Canal+ Afrique reste difficile à quantifier précisément. Les productions locales, bien que mises en avant dans la communication, peinent souvent à rivaliser avec les contenus internationaux en termes de volume, d’audience et d’attractivité commerciale. Mais avec sa nouvelle acquisition, cela pourriat changer.
En effet, le tribunal de la concurrence sud-africain a validé le rachat sous conditions, notamment le financement de productions sud-africaines dans le divertissement et le sport. Ces exigences témoignent des préoccupations locales concernant la préservation d’un écosystème créatif authentiquement africain. Une opportunité peut être pour Groupe Canal.
Un pari financier
L’opération créera un supergroupe audiovisuel africain. Le cabinet américain Digital TV Research considère que Canal+, MultiChoice et StarTimes représentent 90% des parts de marché de la télévision payante en Afrique. Mais les arrivées récentes de Netflix ou Amazone Prime Video pourraient changer la donne.
Maxime Saada, président du groupe Canal+, présente cette acquisition comme « un beau puzzle qui s’assemble » où « les marchés principaux de chacun des deux (l’Afrique francophone d’une part, l’Afrique anglophone et lusophone de l’autre) sont totalement complémentaires ». L’Afrique représente désormais 30% des abonnés de Canal+. Mais cette évolution soulève également des questions sur la capacité du groupe à maintenir sa rentabilité face aux défis structurels du continent.
L’investissement de 90 millions de dollars dans Showmax, qui a généré des pertes opérationnelles de 146 millions de dollars, montre les difficultés à monétiser rapidement les investissements dans le streaming sur le continent.
Cette acquisition transforme Canal+ en « géant mondial de l’audiovisuel » mais elle expose également le groupe à des risques spécifiques liés à la volatilité des marchés africains et à la nécessité de produire un contenu authentiquement local tout en maintenant sa rentabilité.