
L’effervescence était palpable ce jeudi 18 décembre 2025 aux abords de la Cour suprême du Cameroun. Pour la première fois depuis cinq ans, la plus haute juridiction du pays s’est penchée sur le sort de Sisiku Ayuk Tabe, figure emblématique de la cause séparatiste anglophone, et de ses neuf compagnons de cellule. Condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité en 2019 par un tribunal militaire, ceux que l’on surnomme les « Nera 10 » jouent aujourd’hui leur dernière carte judiciaire.
Entre questions de procédure et enjeux politiques majeurs, cette audience a une place importante dans une crise qui s’enlise depuis près d’une décennie.
Une audience suspendue aux impératifs de procédure
Malgré l’attente monumentale des familles et des observateurs internationaux, la justice a choisi de prendre son temps. La Cour suprême, saisie d’un pourvoi en cassation contre la décision de la Cour d’appel de 2020, a rapidement ordonné le renvoi de l’affaire au 15 janvier prochain. Ce report, motivé par des ajustements procéduraux, prolonge encore l’incertitude pour ces leaders de l’auto-proclamée « République d’Ambazonie ». Pour les avocats de la défense, chaque minute compte après cinq années de silence judiciaire au sommet de l’appareil d’État. Ce réveil de la procédure permet néanmoins de remettre sous les projecteurs des détenus dont le sort semblait peu à peu tomber dans l’oubli médiatique.
Les arguments d’une défense déterminée à casser le jugement
Au cœur du débat juridique, Maître Emmanuel Simh et son équipe de défense soulèvent des points fondamentaux qui dépassent le simple cadre du droit camerounais. Le premier argument repose sur l’incompétence présumée du tribunal militaire pour juger des civils, une pratique dénoncée comme étant en contradiction avec les conventions internationales ratifiées par le Cameroun. La défense martèle que Sisiku Ayuk Tabe, ancien ingénieur informatique, n’aurait jamais dû être traduit devant une cour martiale. Les avocats dénoncent également les conditions de leur arrestation au Nigeria en 2018, qualifiée de « kidnapping » sans extradition formelle, une position confortée par le Groupe de travail des Nations unies qui avait jugé leur détention « arbitraire » dès 2022.
L’ombre d’une crise anglophone sans issue militaire
Au-delà des joutes oratoires entre magistrats et avocats, c’est l’avenir des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest qui se joue en filigrane. Sisiku Ayuk Tabe, décrit en bonne santé par ses conseils après une récente visite en prison, demeure une figure centrale pour une partie de la population anglophone. Pour Maître Simh, cette procédure judiciaire doit être le catalyseur d’une prise de conscience nationale. L’avocat souligne que la solution au conflit, qui a déjà causé des milliers de morts en huit ans, ne sera pas judiciaire mais politique. En appelant à ne pas oublier ces prisonniers, la défense espère que la Cour suprême saura ouvrir une porte vers l’apaisement dans un pays toujours meurtri par les velléités sécessionnistes.
Une décision sous haute surveillance internationale
L’issue de ce pourvoi en cassation sera scrutée bien au-delà des frontières camerounaises. La communauté internationale, qui appelle régulièrement au dialogue inclusif à Yaoundé, voit dans ce procès un test majeur pour l’indépendance de la justice camerounaise. Si la Cour venait à casser le jugement, cela pourrait marquer le début d’une désescalade fragile. En revanche, une confirmation de la peine de perpétuité risquerait de crisper davantage les positions sur le terrain. En attendant le 15 janvier, le palais de justice de Yaoundé reste le théâtre d’un drame humain et politique dont le dénouement pourrait redéfinir les rapports de force entre le pouvoir central et les régions frondeuses.




