Insécurité au Cameroun : création des comités de vigilance dans les quartiers, une nouvelle taxe ?


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Un homme armé (illustration)
Un homme armé (illustration)

Plus l’insécurité (grand banditisme, criminalité, enlèvements avec demande de rançon,..) se développe au Cameroun, plus les autorités et les populations elles-mêmes réfléchissent, afin de trouver des voies et moyens pour combattre ce fléau, qui tend à s’étendre dans le triangle national. Parmi tant de stratégies de lutte contre ce fléau, l’instauration des comités de vigilance/autodéfense dans les quartiers semble être la plus adoptée par tous. D’où l’existence de groupes d’autodéfense par-ci, par-là.

Face à la montée persistante de la violence urbaine, de nombreux quartiers du Cameroun misent désormais sur l’engagement direct de leurs habitants pour préserver un minimum de sécurité. Les comités de vigilance, portés en grande partie par des jeunes volontaires, se sont imposés comme un rempart de proximité contre les agressions et les vols. Mais derrière l’efficacité saluée par les riverains, se cachent de lourdes zones d’ombre : conditions de travail précaires, absence de statut clair, manque d’équipements et incertitudes sur l’avenir de ces acteurs devenus indispensables.

Mais bien que le travail des membres de ces différents comités soit apprécié, les interrogations fusent néanmoins de partout. Il y a entre autres préoccupations : qui sont les membres de ces groupes d’autodéfense ? Comment les recrute-t-on ? sont-ils bien identifiés ? ils sont à la charge de qui ? comment sont-ils rémunérés ? En quoi consiste leur travail ? Ont-ils un matériel et équipements appropriés pour combattre l’insécurité ? Quel est l’avenir de ces jeunes volontaires ?

« La majorité de la population ayant déjà du mal à joindre les deux bouts »

Depuis quelques années, les autorités administratives, lorsque l’occasion (intronisation d’un chef, règlement d’un litige foncier,…), se présente, profitent de cette tribune pour parler du bien-fondé de la mise en place des comités de vigilance dans les quartiers, y compris du soutien desdits comités, de la part des populations. La majorité de la population ayant déjà du mal à joindre les deux bouts, sera-t-elle à même de supporter cette autre charge ?

Pour le mécanicien Jules T., « l’instauration de ces comités de vigilance en soi, n’est pas mauvaise. Les membres de ces groupes, en grand nombre selon la superficie de la localité, passent des nuits dans le froid et sous la pluie, n’ont ni le matériel de protection, ni d’équipements appropriés, si ce n’est que des chasubles, des gourdins et des sifflets. Au vu du travail qu’ils abattent toutes les nuits, donc 7 jours sur 7, et ce, de 21h à 6h du matin, lequel travail est apprécié de tous, le problème de leur rémunération se pose avec acuité.  Alors, si une solution n’est pas vite trouvée, ils vont se décourager, ou encore devenir nos bourreaux. D’où l’appel pressent des autorités administratives à l’endroit des populations de chaque quartier, à soutenir ces braves citoyens, qui se sacrifient, pour que nous puissions dormir en toute quiétude ».

« Il arrive de fois, qu’ils fassent du porte-à-porte, pour collecter de l’argent »

« En ma qualité de personnel de santé, je m’interroge quant à l’avenir et la santé de ces jeunes tellement engagés. En médecine, nous savons que dormir dans le froid présente des dangers tels que les crampes musculaires, l’hypothermie, l’aggravation des problèmes respiratoires. Alors, ces jeunes vont faire ce travail pendant combien de temps ? Quel statut auront-ils dans la société ? », indique l’infirmier Simon K.

« Il ne se passait pas une nuit, sans qu’on enregistre au moins un cas d’agression ou de vol dans notre quartier. Mais depuis que les jeunes se sont constitués en groupes d’autodéfense, tout est calme. A partir de 20h, ils se rassemblent à l’entrée principale du quartier, se donnent des rapports secteur par secteur. A 22h30, ils forment des équipes selon le nombre d’entrées, se partagent des chasubles, des gourdins, des sifflets et des rubans. Et comme ils ne sont pas encore pris en charge, à 6h du matin, ils tendent les plats aux passants, afin de recueillir quelques pièces ou billets de monnaie. Puis après le partage de cette cagnotte, ils remettent les chasubles, les gourdins, les rubans et les sifflets à l’un des leurs. Puis, rendez-vous est repris pour la soirée, à la même heure et au même endroit. Il arrive de fois, qu’ils fassent du porte-à-porte, pour collecter de l’argent. Chose qui ne plaît pas à beaucoup de personnes, qui pourtant apprécient le travail », déclare le chef de bloc Germain F.

« J’avais réuni quelques jeunes pour constituer en groupe d’autodéfense »

« Je suis un jeune diplômé en chômage, habitant un quartier de la ville de Douala. Ce qui me motive à m’engager au comité de vigilance de notre quartier, est que, ma sœur et moi rentrions d’une soirée de mariage à 5h du matin. A peine descendus du taxi pour entrer dans notre quartier, trois garçons nous avaient accosté. L’un d’eux avait fait semblant de nous demander l’heure. Pendant que ma sœur sortait son téléphone pour lui communiquer l’heure, les deux autres avaient aussitôt sorti des longs poignards. En nous intimant l’ordre de leur donner tout ce que nous avions de précieux sur nous. Sans aucune opposition, nous leur avions donné tout ce donc nous avions (téléphones, des bijoux, de l’argent). Une fois en possession de nos effets, ils avaient pris la clé des champs. Dieu merci, nous n’avions eu aucune blessure. Quelques jours après, j’avais réuni quelques jeunes volontaires et leur avais proposé de nous constituer en groupe d’autodéfense, afin de sécuriser les différentes entrées de notre quartier », indique Sylvain V., membre d’un groupe d’autodéfense.

« Cette initiative ayant aussi plu au chef du quartier, il avait invité tous les jeunes et personnes moins âgées, et leur avait demandé de se joindre à nous. C’est ainsi que le groupe avait pris du volume, capable de former des équipes de huit personnes. Dans la nuit, nous nous relayons. Certains restent dans les entrées, pendant que d’autres sillonnent dans le quartier. Le chef, malgré la modicité de ses moyens, nous motive autant qu’il peut, ainsi que d’autres âmes de bonne volonté. Le calme qui règne déjà permet aux habitants de sortir très tôt le matin et de rentrer tard. Toute personne étrangère qui entre au quartier, à une heure tardive, à pied, à moto ou en voiture, nous prenons la peine de l’identifier, au mieux même, de l’accompagner au domicile où elle veut se rendre », poursuit Sylvain V.

« Passer toute ma vie à ne faire que du gardiennage »

« J’ai pris grand plaisir de participer à la lutte contre l’insécurité dans ma localité. Mais une question m’est toujours posée par mes parents, c’est celle de savoir si je vais passer toute ma vie à ne faire que du gardiennage. La réponse que je donne est que, si le gouvernement accepte de prendre en charge les membres d’autodéfense, alors, j’y resterai. Mais dans le cas contraire, je vais commencer à réfléchir autrement », conclut-il.

« Les jeunes de tous bords sont prêts à sécuriser leurs quartiers. Alors, il faut que l’Etat mette les moyens conséquents, pour que ces jeunes ne baissent pas la garde. Ce travail n’est pas du tout facile. Il mérite vraiment une motivation, un matériel et un équipement appropriés. Quel sera l’avenir de ces jeunes, parmi lesquels on retrouve les diplômés ? »,

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