
L’appel à manifestation pacifique lancé par le candidat Issa Tchiroma Bakary pour le 26 octobre 2025 a été largement suivi dans de nombreuses régions du Cameroun où de grands rassemblements ont eu lieu, sans incident notable à ce stade, pour réclamer la proclamation officielle par le Conseil Constitutionnel du candidat sorti en tête du dépouillement des urnes. Pari réussi pour Tchiroma : le peuple est sorti dans la rue pour défendre l’alternance obtenue par voie démocratique.
Une multiplication des lieux de manifestation
Le message d’Issa Tchiroma Bakary était clair en organisant cette « Marche pour la libération du Cameroun » : « le dimanche 26 octobre 2025 à 15h, je vous appelle à sortir massivement dans toutes les villes du Cameroun, dans chaque village, chaque quartier, ainsi que dans la diaspora. Faisons entendre notre voix à travers une marche pacifique qui montrera à tous, au pays comme à l’international, que c’est le peuple qui choisit son leader. Restons unis, dignes et déterminés : notre force réside dans notre nombre, dans notre discipline et dans notre conviction que l’avenir du Cameroun appartient à ses enfants. »
La stratégie retenue par les partisans du « président » Tchiroma est en rupture avec les usages habituels des manifestations : en effet les rassemblements ont eu lieu en de multiples lieux, par quartier, et non en un seul point où tous les manifestants se seraient retrouvés face au front uni et impressionnant des forces de l’ordre, tentées de tirer dans la masse pour la faire refluer ou la disperser.

En multipliant les « petites manifestations »de quartier, la mobilisation a déjoué les plans de l’armée et des policiers, dont les effectifs divisés et dispersés ont été en de nombreux endroits débordés par les partisans de Tchiroma, et contraints de reculer. Les images de ces replis des forces de l’ordre, à Douala, ou ailleurs, ont immédiatement circulé sur les réseaux sociaux. Ici ou là, de grandes affiches présentant le portrait du président Paul Biya ont été abattues et détruites. Ailleurs des femmes ont défilé agitant des palmes, symbole de paix, en chantant le slogan « Tchiroma arrive, au revoir Paul Biya! » tandis que les pancartes proclamaient ailleurs: « Tchiroma le choix du peuple 2025 ».
Le collectif des avocats internationaux s’exprime à Paris

Lors d’une conférence de presse organisée à Paris le 22 octobre, le collectif des avocats internationaux mobilisés autour de la défense du résultat du scrutin avait mis en garde contre toute tentative de transformation de la réalité observée lors du dépouillement : de l’examen des relevés des bureaux de vote, collationnés par les différents candidats en lice, il apparaît en effet qu’Issa Tchiroma Bakary a été plébiscité par les électeurs.
Pointé par plusieurs avocats internationaux, le danger d’une déstabilisation du Cameroun, dont l’unité est déjà fragilisée par l’insurrection quasi permanente des régions anglophones, et dont la sécurité est mise en cause par les incursions de la secte islamiste Boko Aram dans les départements du Nord. Les conséquences d’un ébranlement plus grand du pays risqueraient de se faire sentir dans les pays voisins, République du Congo, Gabon, mais aussi Centrafrique, Tchad ou Nigéria. C’est toute l’Afrique centrale qui payerait le prix d’un déchaînement de violence au Cameroun.
Quelle réaction de la communauté internationale?
Par ailleurs, la réaction de la communauté internationale interroge : comment accorderait-elle son soutien à une répression injuste qui verrait le plus ancien potentat africain, Paul Biya, âgé de 93 ans, imposer par la fraude et la force une réélection que son peuple rejette? Les exemples de mobilisation des jeunes générations ailleurs sur le continent, à Madagascar, par exemple, ou au Maroc, après le lointain Tibet, ont défrayé la chronique au cours des derniers mois. Or la jeunesse du Cameroun pourrait elle aussi se mobiliser, malgré le déploiement de l’appareil policier et militaire dans les grandes villes. Une répression à balles réelles comme elle a été observée à Garoua au début de la mobilisation en faveur de la reconnaissance de la victoire de Tchiroma, loin de calmer la mobilisation, pourrait embraser le pays et entraîner une guerre civile à composante communautaire dont nul ne peut à ce jour prédire ni le degré de violence, ni a fortiori l’issue.
Le trop long intervalle de quinze jours qui s’écoule légalement au Cameroun entre le résultat des urnes, affiché dans chaque bureau de vote, et la remontée des feuillets signés à la Commission électorale dont l’indépendance est mise en cause, constitue une anomalie au XXIème siècle, à l’heure où la collation numérique des résultats ne prend, dans tous les pays du monde, que quelques heures.
Le pari dangereux d’une falsification annoncée des résultats du scrutin
Ce délai n’a pas d’explication rationnelle, sinon qu’il permet une falsification du résultat du scrutin, en amalgamant aux résultats réels de supposés relevés issus de bureaux de vote situés dans des régions où ils ne furent même pas ouverts, parce que les conditions sécuritaires ne le permettaient pas. On s’étonnera ainsi rétrospectivement de découvrir que le candidat Paul Biya a remporté 100% des suffrages dans des villes actuellement en insurrection contre l’Etat camerounais. Quelle crédibilité accorder à ces suffrages unanimes en faveur du sempiternel Chef d’un État rejeté avec violence par ces populations?
Le report de la date de proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel au lundi 27 octobre pourrait être le signe d’une volonté de médiation de la part de l’entourage de Paul Biya : proposition a été faite au candidat sorti des urnes, Issa Tchiroma Bakary, de prendre la tête d’un gouvernement d’unité nationale. Toutefois celui-ci en a été découragé par le précédent vécu lors des dernières élections, où un engagement analogue avait été suivi d’une arrestation du candidat vraisemblablement élu, Maurice Kamto.
Dans une situation de tension extrême, la mobilisation des Camerounais qui n’ont pas hésité à descendre ce dimanche dans la rue pour soutenir l’expression des urnes oblige à la fois le président sortant et l’appareil du RDPC, son parti, à faire preuve d’une prudence extrême dans la présentation d’une victoire factice dont la plupart des observateurs contestent ouvertement la réalité. Parier sur l’apathie populaire et la résignation générale face à une répression policière et militaire brutale n’est pas forcément le plus raisonnable aujourd’hui.



