
Dans un climat de plus en plus tendu, les disparitions de commerçants à Ouagadougou, suivies de leur réapparition en tenue militaire, soulèvent une question lourde de conséquences : la junte burkinabè cherche-t-elle à faire taire toute voix critique ? L’affaire, apparemment banale au départ, un simple contrôle commercial, a vite pris une tournure politique inquiétante. Ce qui devait être un ajustement de régulation s’est transformé en un spectacle troublant de répression.
Tout commence par une opération du ministère du Commerce visant à réguler les prix des motos dans la capitale. L’opération révèle plusieurs irrégularités, notamment l’origine douteuse de certaines motos et l’absence de documents légaux. En conséquence, des magasins sont fermés, des marchandises saisies. Une réponse administrative, certes ferme, mais jusque-là compréhensible.
Disparitions mystérieuses et mise en scène dérangeante
Mais très vite, la situation dégénère. Des commerçants, en colère, expriment publiquement leur ras-le-bol. Devant une caméra, ils dénoncent l’incapacité des ministres du Commerce et des Transports à assumer leurs fonctions, allant jusqu’à exiger leur démission. Un acte de défiance, certes audacieux, mais révélateur d’un malaise profond dans une société en crise économique et sociale.
Quelques heures après la diffusion de cette vidéo virale, plusieurs commerçants sont portés disparus. Leurs proches s’inquiètent, l’opinion publique commence à murmurer. Puis, deux d’entre eux réapparaissent soudainement, dans des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. Mais cette fois, le décor a changé : les hommes portent l’uniforme militaire, se tiennent droit, les bras croisés, et présentent des excuses au gouvernement.
Une stratégie de contrôle de l’espace public
L’un affirme avoir été entraîné par la foule, l’autre évoque des menaces d’un revendeur. Le contraste avec la première vidéo est saisissant. Ce qui ressemblait à un cri de révolte est désormais transformé en soumission complète. Le message est clair : s’opposer au pouvoir peut vous coûter cher, très cher. Depuis son arrivée au pouvoir, le régime militaire du capitaine Ibrahim Traoré s’efforce de consolider son autorité.
S’il bénéficie d’un soutien populaire non négligeable, notamment en raison de son discours nationaliste et de sa volonté affichée de reconquérir le territoire face aux groupes armés, il semble aussi s’engager dans une politique de plus en plus autoritaire. La scène des commerçants « repentis » n’est pas une nouveauté. Ces derniers mois, plusieurs voix critiques (journalistes, activistes ou simples citoyens) ont été arrêtées, menacées ou contraintes au silence.
Un pouvoir qui confond sécurité et autoritarisme
Les réseaux sociaux, longtemps espace de liberté, sont désormais surveillés. Les médias indépendants sont régulièrement accusés de saper l’effort national, tandis que les ONG internationales se voient restreindre l’accès au pays. Certes, le Burkina Faso fait face à des défis majeurs. L’insécurité liée au terrorisme, l’effondrement de certains services publics et l’instabilité régionale exigent des réponses fermes.
Mais faut-il pour autant faire taire la société civile, restreindre les libertés fondamentales, et faire disparaître ceux qui osent critiquer l’action gouvernementale ? En agissant ainsi, la junte prend le risque de reproduire les erreurs des régimes précédents : se couper de la population, gouverner par la peur, et étouffer le débat démocratique. À long terme, cette stratégie ne peut que fragiliser encore davantage un pays déjà profondément éprouvé.
La démocratie, même en temps de crise, n’est pas un luxe
Ce qui s’est passé à Ouagadougou n’est pas seulement un fait divers. C’est un symptôme. Le signe d’un pouvoir qui, au nom de l’unité nationale, pourrait être tenté de transformer la critique en trahison, et la liberté d’expression en délit. Or, aucune guerre ne se gagne sans le soutien du peuple. Et ce soutien ne peut être authentique s’il est obtenu par la peur.
Il revient aux autorités burkinabè de comprendre que la force ne remplace pas le dialogue, que la critique ne signifie pas la haine du pays, et que l’uniforme n’a pas vocation à faire taire les désaccords. La vraie résilience d’une nation ne repose pas seulement sur ses armes, mais aussi sur sa capacité à entendre, à débattre, à construire ensemble. Dans ce combat difficile pour la sécurité et la souveraineté, le Burkina Faso ne doit pas sacrifier les fondements d’un État de droit. Car sans justice, sans liberté, sans respect de l’autre, il n’y aura ni paix durable ni véritable victoire.