Boubker Benjelloun : « L’Afrique n’est pas en retard : elle est en avance… d’avenir »


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Boubker Benjelloun
Boubker Benjelloun

Architecte marocain de renommée internationale, ce visionnaire révolutionne l’approche du développement urbain africain. Entre penthouses dubaïotes et villages éthiopiens, il défend une architecture qui réconcilie luxe et philanthropie, modernité et identité. Avec sa B. Foundation, il ambitionne de coter « le bonheur » à Wall Street pour financer l’essor du continent. Rencontre avec un bâtisseur d’un nouveau soft power africain.

En tant qu’architecte marocain ayant connu le succès international, comment percevez-vous le potentiel de l’Afrique comme laboratoire d’innovation architecturale ? Pensez-vous que les défis uniques du continent – urbanisation rapide, ressources limitées, diversité climatique – peuvent inspirer des solutions architecturales révolutionnaires qui pourraient ensuite être appliquées mondialement ?

Boubker Benjelloun : « L’Afrique n’est pas en retard : elle est en avance… d’avenir. » Ce continent est une matrice d’expérimentation unique au monde. Urbanisation fulgurante, ressources limitées, diversité climatique extrême : trois contraintes qui, combinées, forcent l’ingéniosité plutôt que la surenchère. Là où d’autres marchés se perdent dans le superflu, l’Afrique crée des réponses sobres, robustes et belles.

Ici, nous développons des architectures qui respirent ventilation naturelle intelligente, enveloppes actives qui régulent la chaleur, micro-réseaux énergétiques qui donnent l’autonomie, systèmes circulaires qui recyclent l’eau et les déchets. Ce que nous inventons sur ce sol peut inspirer Tokyo, New York ou Dubaï demain. Mon ambition est claire : que les « success stories » architecturales africaines deviennent les prototypes que le reste du monde viendra copier.

Vous créez des penthouses à Dubaï tout en reconstruisant des villages pauvres en Éthiopie. Comment justifiez-vous cette approche ? Est-ce que la création de richesse dans les marchés de luxe internationaux est une stratégie nécessaire pour financer le développement en Afrique ?

Como Tower
Como Tower

Boubker Benjelloun : Je ne vois pas une contradiction, mais une symbiose. Les marchés du très haut de gamme, comme Dubaï, me permettent de repousser toutes les limites techniques, d’attirer les meilleurs talents mondiaux, et de générer les marges qui alimentent mes projets humanitaires. « Le luxe finance l’accès » : une tour comme Como Tower n’est pas seulement une icône de design, c’est un laboratoire vivant. Les innovations testées là, procédés constructifs, logistique, maintenance simplifiée, sont ensuite répliquées dans des écoles, dispensaires, et infrastructures en Afrique, à coûts réduits. La richesse n’est jamais la finalité. C’est l’outil qui permet de bâtir un pont entre le sommet du luxe et la base des besoins essentiels.

Vous avez exprimé votre déception concernant le Grand Stade de Casablanca, estimant qu’il ne reflétait pas suffisamment l’identité marocaine.Quel rôle l’architecture peut-elle jouer dans l’affirmation du soft power africain ? Comment les architectes africains peuvent-ils contribuer à changer la perception internationale du continent ?

Boubker Benjelloun :  Le Maroc, avec 14 siècles d’histoire institutionnelle continue, est un chef-d’œuvre vivant. Le Maroc est un pont entre civilisations, un kaléidoscope de lumières, de savoir-faire et d’âmes. Sous le règne visionnaire de sa Majesté Mohammed VI, le plus grand monarque de son temps (tous pays confonds) qui a su transformé son pays d’une façon absolument extraordinaire , le Maroc s’affirme comme un modèle moderne de progrès, d’innovation et de rayonnement culturel.

Le Grand Stade de Casablanca aurait dû être un monument spectaculaire. Ses concepteurs ont tout misé sur la modernité en créant une enceinte sportive digne des grandes métropoles globales comme Las Vegas, Pékin ou Dubaï. Mais… il lui manque l’âme du Maroc : cette signature subtile, faite de lumière aride, de pierre, de mosaïques, de patios, de gestes séculaires. C’est en ce sens que j’ai été déçu en le découvrant. Pour la Coupe du Monde, grande vitrine sur le monde, il aurait fallu un stade à la fois ultra-moderne et profondément marocain : un hymne architectural à notre héritage plurimillénaire.

Imaginez un stade où se fondront :
les mosaïques zellige et les arabesques de Fès ;
les toits de tadelakt polis de Marrakech ;
les arches majestueuses des kasbahs du sud ;
le souffle des cours intérieures des médinas impériales ;
le jeu de lumière des riads et des patios ;
le vert des jardins andalous et le bleu du Rif, évocateur de Chefchaouen, associé à la brise marine du littoral.
Les tanneries de Fès
La poterie de Safi

Ce Maroc-là, riche de ses traditions, de ses arts, de ses paysages, de ses cités impériales, de son artisanat, de son hospitalité mérite d’être mis en avant avec fierté dans chaque pierre, chaque façade, chaque détail. Faire du Grand Stade une fierté patrimoniale vivante, et non juste un édifice parmi d’autres.

Un tel projet serait une œuvre d’art monumentale, un manifeste du soft power marocain, capable d’éblouir tant qu’il ferait dire. C’est cette ambition que je porte pour mon pays.

⁠Votre B. Foundation représente une nouvelle approche de la philanthropie africaine, avec des anciens lauréats du prix Nobel au conseil d’administration et une vision technologique avancée. Comment voyez-vous cette nouvelle génération d’entrepreneurs africains transformer l’approche du développement du continent ? Quelle est votre vision pour créer un écosystème durable où les succès individuels alimentent automatiquement le développement collectif africain ? Comment mobiliser la diaspora africaine dans cette démarche ?

Boubker Benjelloun : La B. Foundation est née d’une conviction : la philanthropie doit passer d’un geste occasionnel à un mécanisme structurel et mondial. Nous avons réuni une gouvernance de haut niveau, d’anciens lauréats Nobel, personnalités d’influence, experts en développement pour que chaque initiative soit à la fois visionnaire et mesurable.

Boubker Benjelloun en Ethiopie
Boubker Benjelloun en Ethiopie

Notre vision est d’entrer dans l’histoire en cotant le logo “B.” à la Bourse de New York. Pour la première fois, n’importe quel citoyen, qu’il vive à Lagos, New York ou Casablanca, pourra acheter une part, une action de bonheur. Ce ne sera pas un simple actif financier, mais un symbole vivant : chaque transaction alimentera directement des projets concrets – eau potable, écoles, infrastructures de santé, programmes culturels avec un reporting en temps réel de l’impact.

C’est un modèle flywheel : les réussites individuelles – qu’il s’agisse d’un entrepreneur marocain, d’un ingénieur kenyan ou d’un investisseur de la diaspora – viennent nourrir un fonds qui finance en continu des projets à forte valeur sociale, lesquels renforcent à leur tour l’attractivité économique et culturelle du continent.

Cube 45 I Dubia Creek
Cube 45 I Dubia Creek

Mobiliser la diaspora, c’est l’inviter à devenir co-actionnaire de l’impact. Pas un don ponctuel, mais une participation claire, liquide, traçable, avec des “kits” d’intervention réplicables dans leurs régions d’origine. La diaspora n’est pas un guichet de financement, c’est une force mondiale de talents, de réseaux et d’exigence.

Le fait que l’on puisse mourir de faim en 2025 est totalement intolérable. Nous prévoyons de distribuer de la nourriture à ceux qui en ont besoin et de révolutionner l’éducation par l’implémentation d’écoles autonomes.

Avec la B. Foundation, nous créons le premier marché mondial du bonheur. Et ce marché aura sa place au cœur de Wall Street, comme un rappel quotidien qu’investir dans l’Afrique, c’est investir dans l’avenir du monde.

⁠L’Afrique connaîtra la plus forte croissance urbaine mondiale d’ici 2050, avec des villes comme Lagos, Kinshasa ou Casablanca qui deviendront des mégalopoles. Fort de votre expérience entre le Maroc, Dubaï et l’Éthiopie, quelle est votre vision pour les villes africaines du futur ? Comment concilier développement urbain rapide, préservation de l’identité culturelle, et durabilité environnementale ? Votre modèle architectural peut-il être adapté aux réalités économiques des classes moyennes africaines émergentes ?

Boubker Benjelloun :  Ma vision repose sur trois piliers :
– Vitesse maîtrisée : corridors stratégiques (mobilité, eau, data, énergie), zonages évolutifs, préfabrication locale de haute qualité pour répondre à la croissance sans perdre le contrôle.
– Identité assumée : formes adaptées au climat (rues ombragées, patios, loggias), matériaux locaux, espaces publics qui racontent nos histoires.
– Durabilité pragmatique : sobriété énergétique passive en priorité (orientation, ventilation naturelle), complétée par des énergies propres (solaire, microgrids) et une économie circulaire.

Museum of humanity Dubaï
Museum of humanity Dubaï

Mon approche est « scalable » : un penthouse ou un logement pour la classe moyenne reposent sur les mêmes principes spatiaux, simplement adaptés en matériaux et finitions. Objectif : un habitat digne, extensible et ancré dans l’âme du lieu.

Faut-il repenser complètement l’urbanisme africain ou s’inspirer des modèles existants ? Et comment l’architecture peut-elle contribuer à la lutte contre le changement climatique en Afrique ?

Boubker Benjelloun : Ni page blanche, ni simple copier-coller. Il s’agit d’une hybridation : prendre le meilleur des modèles éprouvés (densité autour des transports, ville des 15 minutes, trames vertes/bleues) et les réinterpréter à l’aune du climat africain, de l’économie informelle et de notre énergie démographique. Face au changement climatique, l’architecture africaine doit être une réponse, pas une victime :
– Passif avant tout : ombre, inertie thermique, ventilation naturelle, toitures hautes, façades profondes.
– Eau : récupération, infiltration, réutilisation, paysages qui rafraîchissent et produisent.
– Matériaux : circuits courts, empreinte carbone minimale, terre stabilisée, pierre, bois local.
– Énergie : solaire distribué, stockage mutualisé, micro-réseaux communautaires.
– Mobilité : piéton, vélo, transport collectif fiable avant tout.

Notre but n’est pas de copier la modernité : c’est de créer la nôtre. Une modernité située, performante, belle et fièrement africaine.

Dubai Fashion Resort
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