Bakassi : les accords de Greentree et leur application


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Au lendemain de la signature des accords de Greentree, les réactions ne se font pas attendre du coté du Nigéria, qui les vit comme un véritable succès. Le Cameroun, quant à lui, se manifeste officiellement une semaine plus tard et on observe une divergence dans l’interprétation desdits accords par les deux parties, ce qui démontre une fois de plus les ambiguïtés entre l’action des responsables politiques sur la scène internationale et leurs attitudes sur le terrain.

La situation officielle antérieure

La décision de la C.I.J. de 2002 laisse entrevoir un terme à ce conflit. Elle est suivie du respect pur et simple des conclusions de la Cour. Ce n’est que quatre ans plus tard qu’interviennent les plus récents accords. Ils donnent clairement une vision de la complexité de la situation où tout en reconnaissant la souveraineté du Cameroun sur Bakassi, ils lui donnent un statut spécial sur une partie de Bakassi, ouvrant cette partie au Nigéria.

Les accords de Greentree

Le 12 juin 2006 sont réunis à Greentree (New-York) les Présidents camerounais et nigérian avec comme témoins les représentants des Nations-Unies, de l’Allemagne, des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne, pour la signature des accords concernant les modalités de transfert d’autorité dans la presqu’île de Bakassi.

Ces accords stipulent la reconnaissance de la souveraineté du Cameroun par le Nigéria sur la presqu’île de Bakassi et définissent un transfert d’autorité qui doit se faire dans le respect des termes desdits accords, reconnus et signés par les deux parties et les témoins. Il est alors question d’un régime spécial de transition qui consiste au retrait des forces armées nigérianes dans la région dans un premier temps et de l’administration nigériane par la suite. De la garantie de respecter le processus de transition par les deux parties à travers le respect des travaux de la commission mixte (dans le cadre du processus de démarcation), le respect des droits des citoyens vivants dans la région par les deux parties.

Ils instituent une commission chargée de suivre l’application desdits accords. Il est cependant intéressant de noter que le point quatre de l’annexe de cet accord stipule qu’après le transfert d’autorité de la zone au Cameroun, celui-ci s’engage à appliquer à la zone un régime spécial transitoire pour une durée de cinq ans non renouvelable (La décision de la C.I.J. en 2002 avait déjà arrêté le retrait complet des forces armées nigérianes de Bakassi ce qui ne fut pas effectif sur le terrain, bien que les accords de Greentree mettent en place toutes les dispositions pour protéger les droits des citoyens nigérians de Bakassi, ils ne laissent pas les pleins pouvoirs au Cameroun sur Bakassi.) pendant laquelle le Cameroun devra autoriser une forme d’administration nigériane sur son territoire du fait de la présence de ses ressortissants.

Il faudra finalement attendre sept ans pour voir le Cameroun maître de son territoire. Pire, ces accords garantissent aux populations nigérianes de Bakassi d’être propriétaires des terres camerounaises tout en gardant leur nationalité nigériane et aussi d’être administrées par les autorités nigérianes, situation qui ne s’explique pas au vu du droit international.

Interprétations des accords de Greentree

Au lendemain de la signature de ces accords, il s’avère que le Nigéria maintient un contrôle sur une partie de la péninsule, son Président s’en félicite d’ailleurs en disant dans son discours :« Une période de transition sera mise en place pendant cinq ans après la fin de l’administration de la péninsule par le Nigéria pour permettre aux Nigérians d’avoir accès sans formalités à Bakassi. » Abuja voit cet accord comme le succès de sa politique et une efficacité de sa négociation car, bien que contraint de se retirer de la région, il gardera quand même le contrôle sur les deux îles d’Ataban et Jabana qu’il considère comme une porte ouverte sur le Cameroun. Il ne manque pas du reste de spécifier l’aspect militaire de son action, où il est clairement supérieur à son voisin camerounais quand il déclare : « Les troupes nigérianes se retireront de la péninsule… après avoir combattu vaillamment pour protéger les vies et les biens des Nigérians pendant ces 13 dernières années. »

Il n’en demeure pas moins que, plus récemment, après l’attaque des soldats camerounais du 12 novembre 2007 à Bakassi, certains membres du Sénat nigérian lancent une pétition adressée à leur Président pour que cesse la procédure de rétrocession de Bakassi au Cameroun du fait que ces accords ne seraient pas compatibles avec les dispositions de la section 12 article 1 de la constitution du Nigéria de 1999.

Du côté camerounais cet accord est vécu comme la plus belle victoire du Président Paul Biya qui, bien que n’ayant cessé de faire des concessions, échappe a une situation plus complexe souhaitée par les autorités d’Abuja. En fait, si le Cameroun avait porté de nouveau l’affaire devant le Conseil de Sécurité des Nations-Unies pour réclamer l’application pure et simple de ses décisions et si possible des sanctions à l’encontre du Nigéria, il est clair que ce dernier aurait pu bénéficier du soutien des membres tels que les Etats-Unis ou encore la Chine, qui ont déjà massivement investi du côté nigérian, pour l’exploitation des hydrocarbures. Biya, en privilégiant la négociation, parvient à éviter un blocage qui aurait tout simplement paralysé le processus de rétrocession de la presqu’ile.

Les réalités locales

Administrativement, la péninsule est contrôlée par le Cameroun. Mais en réalité les Camerounais de la région se sentent délaissés par le gouvernement central, ce qui entraîne une sorte de frustration dans l’ensemble de la population . A cela s’ajoute le fait que, la déclaration d’indépendance de Bakassi ne peut que s’aligner dans une logique de continuité du conflit

Yaoundé ne cesse de faire des compromis aussi bien sur le plan économique que politique. La prétendue stabilité du Cameroun et son attitude laxiste dans sa politique internationale sont vécus par la population comme une grande frustration, comme un cuisant échec, mettant en évidence la faiblesse du Cameroun sur la scène internationale. François BAMBOU le dit nettement : « Le garant de l’intégrité territoriale a placé une partie du pays sous administration étrangère, contrairement à ses engagements constitutionnels. » On dirait que le Cameroun, ne se fiant qu’à son bon droit, a ignoré le fait que les enjeux économiques ont toujours une grande influence dans lles positions de fait prises par les Nations.

Pire, une grande inquiétude se manifeste chez les Camerounais du fait de l’action de groupes armés, les « Bakassi Boys » et de mouvements sécessionnistes qui sont vraisemblablement fomentés ou à tout le moins soutenus par le gouvernement nigérian.

Par Djat Mpayon

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