
Près de dix ans après les faits, la justice française a rendu un verdict définitif dans l’affaire qui a ébranlé les milieux du journalisme et de la diplomatie : les journalistes Éric Laurent et Catherine Graciet ont été condamnés, respectivement, à douze et dix mois de prison avec sursis pour tentative de chantage envers le roi du Maroc, Mohammed VI. Une amende de 5 000 euros leur a également été infligée. La peine, bien que légèrement allégée par rapport à celle prononcée en première instance, vient clore une affaire sensible mêlant journalisme d’investigation, enjeux géopolitiques et zones d’ombre.
Une affaire née d’un second livre
L’histoire débute à l’été 2015. Forts du retentissement provoqué par leur ouvrage « Le Roi prédateur » paru en 2012, qui accusait le roi Mohammed VI et son entourage d’enrichissement personnel aux dépens du Maroc, Éric Laurent et Catherine Graciet entament la préparation d’un second opus. C’est dans ce contexte qu’Éric Laurent contacte le cabinet royal marocain.
La prise de contact débouche rapidement sur une rencontre avec un émissaire du palais. Mais ce premier échange soulève de fortes suspicions côté marocain. Le royaume dépose plainte pour tentative de chantage et la justice française est saisie. Les autorités judiciaires mettent alors en place un dispositif de surveillance, enregistrant les rendez-vous suivants. Deux autres réunions sont organisées dans un hôtel parisien, toutes placées sous la surveillance de la police
Trois rencontres sous surveillance
Lors du troisième et dernier rendez-vous, un document est signé : les journalistes s’engagent à ne pas publier leur livre, en échange d’un paiement de deux millions d’euros. À la sortie de ce rendez-vous, Éric Laurent et Catherine Graciet sont interpellés par la police, en possession de deux enveloppes contenant chacune 40 000 euros en liquide, premier acompte du supposé accord. Ces éléments, notamment les enregistrements audio et les preuves matérielles, ont constitué le cœur de l’accusation.
Durant le procès, les deux journalistes ont rejeté les accusations de chantage, tout en reconnaissant une « erreur déontologique ». Selon eux, il ne s’agissait pas d’une démarche de menace, mais plutôt d’une négociation ambigüe, entamée à l’initiative du Maroc. Éric Laurent a affirmé que l’idée d’une « transaction » émanait de l’émissaire marocain. Il a expliqué avoir accepté cette proposition en raison d’une « situation personnelle très dure », tout en admettant que cela constituait une grave entorse à l’éthique journalistique.
Des versions divergentes
De son côté, Catherine Graciet a tenté de se distancier davantage de l’affaire. Elle a déclaré n’avoir pas été informée des négociations initiales et a exprimé son « scepticisme » dès le départ. Elle dit avoir perçu une tentative de piège orchestrée par le Maroc et soutient qu’elle a assisté à la dernière réunion dans l’espoir d’y trouver la matière d’un scoop sur une opération de corruption visant des journalistes.
Derrière le fait divers judiciaire se cache un dossier à forte charge symbolique. Le Maroc, pays allié de la France mais souvent critiqué pour son rapport à la liberté de la presse, a voulu montrer sa fermeté. Le royaume a suivi l’affaire de près, y voyant une atteinte à l’honneur de son souverain. Pour la défense, cette affaire soulève des questions sur la liberté de la presse, les méthodes du renseignement marocain, et le rôle joué par l’État français dans une affaire aux fortes résonances diplomatiques.