
Alors que ses voisins maghrébins peinent encore à finaliser leurs stratégies 5G, l’Algérie accélère dans sa transformation numérique. Avec un calendrier réglementaire quasi bouclé et des tests opérateurs déjà concluants, le pays s’apprête à lancer commercialement la 5G dès le second semestre 2025, en privilégiant une approche pragmatique axée sur la valeur ajoutée économique plutôt que sur la seule course aux débits.
Dans le secteur des télécommunications, l’Algérie se distingue de ses voisins par la maturité de son projet 5G. Quand le Maroc vise novembre 2025 pour ses premiers déploiements avec 25% de couverture d’ici 2026 et que la Tunisie a lancé sa 5G commerciale en janvier 2025 avec des licences moins chères, l’Algérie mise sur une stratégie différenciée et plus ambitieuse.
Le ministre algérien de la Poste & Télécoms, Sid Ali Zerrouki, a confirmé que le cahier des charges 5G serait finalisé d’ici juin 2025, ouvrant la voie à un déploiement commercial dès le quatrième trimestre. Cette approche « pragmatique » contraste avec les retards accusés par d’autres pays de la région.
Une longueur d’avance au Maghreb
Contrairement à ses voisins qui privilégient une couverture grand public immédiate, avec la problématique des tarifs qui devront augmenter, l’Algérie fait le pari d’une 5G à forte valeur ajoutée économique. Le pays cible prioritairement les réseaux privés industriels avec un guichet dédié dans le cahier des charges, les cas d’usage B2B et B2G dans les secteurs de la santé, de l’industrie et des ports intelligents, ainsi que le Fixed Wireless Access (FWA) pour étendre le très haut débit dans les zones mal couvertes par la fibre.
Cette stratégie répond intelligemment au défi de l’ARPU très bas (environ 2 dollars) qui caractérise le marché algérien, en cherchant la rentabilité ailleurs que dans le seul segment grand public. En effet, même dans les pays européens en avance dans le déploiement de la 5G, la tarification pour les particulier n’a pu être augmentée, rendant financièrement compliquée la rentabilisation de l’investissement dans els infrastructures.
Des tests opérateurs qui convainquent
Les trois opérateurs algériens ont déjà démontré la viabilité technique de leurs solutions. Mobilis, l’opérateur public, a réalisé des tests publics le 17 avril 2025 à Alger, atteignant 1,2 Gb/s avec une latence inférieure à 10 ms. Ces démonstrations incluaient du cloud-gaming et de la réalité augmentée, prouvant la capacité du réseau à supporter des applications exigeantes.
De son côté, Djezzy mène des essais depuis novembre 2022 avec ses partenaires Huawei et Nokia, ayant atteint 1,5 Gb/s dans les principales villes. L’opérateur a déjà finalisé la mise à niveau de son cœur de réseau IP-Backbone 400G, témoignant de sa préparation technique avancée.
Enfin, Ooredoo a modernisé son infrastructure avec Huawei pour la 5.5G et signé un accord RAN avec Nokia, se préparant activement à cibler les campus universitaires et zones industrielles pour ses premiers déploiements.
Une vision industrielle
L’Algérie voit la 5G comme un levier de transformation économique majeur. Dans le domaine de la santé, des projets ambitieux de télé-échographie entre le CHU Mustapha-Pacha d’Alger et les hôpitaux de Béchar visent à réduire l’exode sanitaire interne en permettant des consultations spécialisées à distance.
Dans l’industrie énergétique, secteur stratégique du pays, la maintenance prédictive sur le complexe gazier de Hassi R’mel utilisera des capteurs 5G SA privés avec un objectif de réduction de 8% des coûts OPEX grâce à la prévention des arrêts non planifiés.
La logistique portuaire ne sera pas en reste, avec le port de Djen-Djen qui expérimentera des grues autonomes 5G et le suivi de conteneurs en temps réel, visant une amélioration de 25% de la productivité portuaire. Cette modernisation s’inscrit dans la stratégie de développement des infrastructures commerciales du pays.
Enfin, le secteur touristique bénéficiera d’innovations remarquables avec des expériences immersives de réalité virtuelle du Tassili accessibles depuis les aires d’autoroute, promettant de diversifier et moderniser l’offre touristique nationale grâce au streaming 8K.
Un déploiement en trois phases
Le plan de déploiement algérien suit la logique économique suivante:
- Phase 1 (2025-2026) : Hotspots urbains et industriels
Focus sur Bab Ezzouar, les ports d’Alger/Oran et les complexes pétrochimiques de Skikda. Objectif : 5 wilayas avec plus de 1 Gb/s avant fin 2026. - Phase 2 (2027-2028) : Extension métropolitaine
Utilisation mixte des bandes 2600 MHz et 3,5 GHz, avec refarming LTE 1800 MHz pour l’ancrage NSA. - Phase 3 (2028-2030) : Couverture large et FWA
Déploiement de la bande 700 MHz après la bascule TV pour la 5G SA rurale et le Fixed Wireless Access grand public.
Des défis identifiés et anticipés
L’Algérie ne sous-estime pas les obstacles à surmonter. Seuls 37% des sites mobiles sont actuellement fibrés, nécessitant des investissements massifs. L’État étudie un fonds de co-investissement pour accélérer cette fibration. Par ailleurs, l’écosystème des terminaux progresse positivement : 28% des smartphones importés sont déjà compatibles 5G, mais la barre psychologique des 250 dollars reste un frein pour l’adoption massive.
Avec cette stratégie réfléchie et cette exécution méthodique, l’Algérie souhaite devenir la référence 5G du Maghreb. Pendant que le Maroc se concentre sur les événements sportifs (CAN 2025, Mondial 2030) et que la Tunisie explore la 5G privée après son lancement commercial, l’Algérie construit dès le départ un écosystème 5G pensé pour l’industrie et l’économie numérique.
Le rendez-vous est pris pour l’été 2025 avec l’attribution des licences, puis l’automne pour les premiers services commerciaux.