Visite de Pedro Sánchez à Melilla : un geste qui risque de raviver la colère du roi Mohammed VI


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Pedro Sanchez
Pedro Sanchez, président du gouvernement espagnol

La visite officielle de Pedro Sánchez à Melilla, ce lundi 2 juin 2025, pour l’inauguration du nouvel hôpital universitaire de la ville autonome, intervient dans un contexte diplomatique particulièrement sensible entre l’Espagne et le Maroc. Si ce déplacement est présenté par la Moncloa comme un geste de normalité institutionnelle, il risque fort d’être interprété à Rabat comme une provocation.

Le président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, s’apprête à effectuer une visite dans la ville de Melilla, revendiquée à la fois par l’Espagne et le Maroc. Demain lundi, l’officiel espagnol va procéder à l’inauguration du nouvel hôpital universitaire de la ville autonome, Et, nul doute que le roi Mohammed VI pourrait y voir une atteinte directe aux revendications marocaines sur les présides de Ceuta (Sebta) et Melilla. Dès lors, il est fort probable que ce déplacement alimente un nouveau cycle de tensions entre les deux pays.

Pedro Sánchez n’avait pas remis les pieds à Melilla depuis mars 2022, date à laquelle il avait aussi visité Ceuta, quelques jours après la reprise des relations bilatérales entre Madrid et Rabat. Cette normalisation avait été rendue possible par le revirement spectaculaire de l’Espagne sur la question du Sahara occidental, avec un soutien affiché au plan d’autonomie proposé par le Maroc. Mais les promesses échangées dans le cadre de cette nouvelle feuille de route sont loin d’avoir toutes été tenues.

Une opération politique critiquée en interne

Alors que l’Espagne attendait la pleine réouverture des douanes commerciales à Melilla et la création d’un bureau de douane à Ceuta, Rabat continue de jouer la montre. Mi-janvier 2025, le Maroc a ainsi suspendu l’entrée des camions espagnols alloués aux deux villes, invoquant une promesse non tenue de Madrid concernant la cession de l’espace aérien du Sahara. Cette demande, posée dès novembre 2022, reste un point de blocage important pour Rabat, qui y voit un levier stratégique pour renforcer sa souveraineté sur le Sahara et les zones maritimes environnantes.

À Melilla, la visite de Pedro Sánchez est aussi perçue avec scepticisme par l’opposition. Le Parti populaire (PP) dénonce une « opération de mise en scène » destinée à redorer l’image du gouvernement à l’approche des échéances électorales. La sénatrice PP de Melilla, Isabel Moreno, a critiqué l’inauguration d’un hôpital « dont les lits, l’unité de soins intensifs et le service des urgences ne sont pas encore fonctionnels ». Selon elle, cette visite n’a d’autre but que de « couper un ruban » pour faire la une des journaux.

Le Maroc toujours aussi ferme sur ses revendications

Mais au-delà des critiques internes, c’est surtout la réaction de Rabat qui retient l’attention. Le Maroc considère toujours Ceuta et Melilla comme des territoires sous occupation, et ne cache pas ses ambitions de les récupérer un jour. En août 2023, la publication par l’ambassade marocaine à Madrid d’une carte intégrant les deux villes dans le territoire marocain avait déjà provoqué une vive réaction du gouvernement espagnol. Celui-ci avait alors réaffirmé sa souveraineté « incontestable » sur ces deux présides, tout en insistant sur la nécessité du respect mutuel dans les relations bilatérales.

Cette position reste inchangée à Madrid. Le ministère des Affaires étrangères a encore récemment déclaré que « Ceuta et Melilla font partie intégrante de l’Espagne », et que leur statut n’était pas négociable. Pour Juan José Imbroda, président de Melilla, « une réponse claire et ferme au Maroc est nécessaire ». Le gouvernement de Ceuta, de son côté, demande que le respect de l’intégrité territoriale espagnole soit une « condition essentielle à toute relation de bon voisinage ».

Coopération en apparence, tensions en profondeur

Depuis la normalisation officielle des relations en mars 2022, l’Espagne et le Maroc ont affiché leur volonté de renforcer la coopération dans plusieurs domaines : migration, commerce, lutte contre la contrebande… Mais sur le terrain, les avancées sont lentes, fragiles et souvent unilatéralement remises en question.

La question des douanes en est un parfait exemple. Si trois tests pilotes ont bien été réalisés depuis avril 2022 à Melilla et Ceuta, le Maroc n’a jamais donné suite à une ouverture complète et régulière. Il impose encore aujourd’hui des contrôles particulièrement longs et stricts aux camions espagnols, dans certains cas jusqu’à 11 heures d’attente. Un blocage qui montre que le royaume chérifien entend utiliser tous les leviers à sa disposition pour faire pression sur Madrid.

Une visite à haut risque

Dans ce contexte, le déplacement de Pedro Sánchez à Melilla pourrait être perçu par Rabat comme une forme de défi. Alors que la reprise des relations reposait sur l’engagement des deux parties à éviter toute action susceptible d’irriter l’autre, cette visite brise en quelque sorte ce pacte implicite. Elle pourrait raviver les tensions à un moment où la question saharienne reste explosive, et où les désaccords sur la gestion des frontières, de l’espace aérien et des ressources maritimes n’ont toujours pas été résolus.

La visite de Sánchez sera donc scrutée de très près par le palais royal marocain. Une réaction officielle pourrait suivre, avec à la clé, un nouveau gel des discussions ou une dégradation des relations diplomatiques. Car pour Rabat, chaque geste espagnol à Ceuta ou Melilla est interprété comme un acte politique, voire comme une provocation.

Une ligne rouge franchie ?

Alors que les enjeux géopolitiques autour du Sahara occidental restent entiers, l’Espagne se prête à un jeu d’équilibriste. D’un côté, elle souhaite préserver sa souveraineté sur Ceuta et Melilla ; de l’autre, elle cherche à maintenir une relation apaisée avec le Maroc, acteur stratégique pour la gestion des flux migratoires et partenaire économique de premier plan. Mais la visite de Pedro Sánchez à Melilla pourrait bien constituer une ligne rouge pour Rabat, surtout dans un climat où la confiance semble à nouveau s’éroder.

À l’heure où le Maroc exige une mise en œuvre « immédiate » des engagements espagnols sur le Sahara, ce geste du chef de l’Exécutif espagnol pourrait être interprété comme un refus tacite de céder davantage de terrain politique. Ce lundi, ce ne sera donc pas seulement un hôpital que Pedro Sánchez inaugurera à Melilla. Il pourrait, sans le vouloir, rouvrir une crise diplomatique larvée avec un voisin dont les ambitions territoriales ne font plus mystère.

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Je suis passionné de l’actualité autour des pays d’Afrique du Nord ainsi que leurs relations avec des États de l’Union Européenne.
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