
Alors que les relations entre Paris et Niamey se crispent autour de la question de l’uranium, les chiffres de l’ITIE-Niger apportent un éclairage historique inattendu. Ils montrent que la France a, durant plusieurs décennies, acheté l’uranium nigérien à un prix souvent supérieur au cours mondial. Cette réalité contraste avec les accusations actuelles d’exploitation déséquilibrée des ressources. Elle replace le différend récent dans une relation économique de long terme, aujourd’hui profondément remise en question.
Les données de l’ITIE-Niger révèlent que la France, principal acheteur de l’uranium nigérien, a payé ce minerai stratégique à un prix supérieur au cours mondial dans la majorité des années entre 1971 et 2022. Mais derrière ce surpaiement se dessine une logique de partenariat où la stabilité des revenus du Niger et la sécurité énergétique française se sont mutuellement renforcées.
Une prime contractuelle assumée
Sur près de 80 % des années entre 1971 et 1993, le « prix Niger » dépasse le prix spot. En moyenne, sur l’ensemble de la période, le prix contractuel est de 31 178 F CFA/kgU, contre 29 072 F CFA/kgU pour le spot. Ce différentiel a généré une valeur totale de production de 5 346 milliards F CFA, soit 456 milliards de plus que si les ventes avaient été indexées uniquement sur le marché.
La logique de la « bienveillance » française
Ce surpaiement ne peut être réduit à une simple anomalie commerciale. Il traduit une volonté française de garantir au Niger des revenus stables malgré la volatilité des cours mondiaux. Par exemple, après Tchernobyl (1986), le spot chute à 12 984 F CFA/kgU, mais le prix Niger reste à 29 800, protégeant les recettes du pays. Il traduit également la volonté de la France de soutenir un partenaire stratégique dans un contexte géopolitique fragile. Et aussi d’accompagner la gouvernance locale. La création de la SOPAMIN en 2007 et la signature de l’APS État–Areva en 2014 illustrent une démarche de coopération où la France a accepté des conditions tarifaires plus favorables au Niger.
Une relation au profit du Niger
Pour le Niger, des recettes supérieures traduisent une stabilité budgétaire et une capacité à financer des politiques publiques. Ainsi, le surpaiement apparaît moins comme une contrainte que comme une preuve de bienveillance et de solidarité économique, inscrite dans une logique de partenariat durable. Au-delà des chiffres, le surpaiement français a eu des retombées directes et durables pour l’économie nigérienne. Les recettes supplémentaires générées par la différence entre le prix contractuel et le prix spot ont permis au Niger de consolider sa stabilité budgétaire dans un contexte marqué par des crises politiques, des chocs internationaux et une forte dépendance aux exportations minières.
Cela a également permis une stabilité budgétaire, puisqu’en maintenant des prix supérieurs au marché, la France a offert au Niger une prévisibilité rare dans le secteur extractif. Cette stabilité a permis de sécuriser des revenus indispensables pour le financement des infrastructures, des services publics et des programmes sociaux.
Ce superpaiement a renforcé également la capacité de financement. Les écarts de prix ont souvent représenté des dizaines de milliards de F CFA supplémentaires chaque année. Ces marges ont renforcé la capacité de l’État à investir dans l’éducation, la santé et les projets de développement, même lorsque les cours mondiaux s’effondraient. En définitive, cette relation asymétrique, mais bienveillante a permis au Niger de tirer une rente minière plus avantageuse que celle qu’il aurait obtenue en se soumettant uniquement aux fluctuations du marché mondial. La France, en payant au-delà du prix, a assumé une forme de solidarité économique qui a profité directement au pays producteur, tout en sécurisant son propre approvisionnement énergétique.
Loin d’être une simple transaction commerciale, l’histoire de l’uranium nigérien vendu à la France illustre une relation asymétrique mais bienveillante. La France a payé au-delà du marché par choix stratégique et par souci de stabilité pour son partenaire. Ce geste, répété sur plusieurs décennies, témoigne d’une coopération où l’économie et la diplomatie se sont entremêlées pour bâtir une relation durable.





