Traité mondial contre la pollution plastique, l’Afrique veut peser contre le « colonialisme des déchets »


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Ballots de sacs plastique
Des ballots de sacs en plastique

Alors que s’ouvrent demain à Genève les négociations de la dernière chance pour un traité international contre la pollution plastique, le continent africain se positionne en première ligne d’un combat aux enjeux sanitaires, environnementaux et économiques majeurs. Du 5 au 14 août, 175 pays tenteront de s’accorder sur un texte juridiquement contraignant, après l’échec des discussions de Busan en décembre dernier.

Un continent en première ligne face à une crise mondiale

Bien que l’Afrique ne produise que 5% du plastique mondial et n’en consomme que 4%, le continent subit de plein fouet les conséquences d’une pollution qui ne connaît pas de frontières. Chaque année, plus de 400 millions de tonnes de plastique sont produites dans le monde, et cette production pourrait tripler d’ici 2060, atteignant 1,2 milliard de tonnes annuelles selon les projections de l’OCDE.

En Afrique de l’Ouest, la situation est particulièrement préoccupante : 6,9 millions de tonnes de déchets plastiques ont été rejetés en 2018 par les 17 pays côtiers de la région, le Nigeria représentant à lui seul 4,7 millions de tonnes. Avec 20% de ces déchets produits dans les 30 kilomètres de la côte, une grande partie finit inexorablement dans l’océan Atlantique.

Des impacts sanitaires alarmants

Les conséquences sur la santé publique sont désastreuses. Des recherches menées par l’Université de Stanford et l’Université Technique de Mombasa ont révélé un lien inquiétant entre les déchets plastiques et la propagation de maladies tropicales. Les déchets créent des zones de reproduction idéales pour les moustiques vecteurs du paludisme, du chikungunya et de la fièvre dengue.

Plus préoccupant encore, les microplastiques contaminent désormais l’eau potable et la chaîne alimentaire. L’inhalation de polluants toxiques issus de la combustion des déchets plastiques – pratique courante dans de nombreuses régions africaines – provoque des problèmes respiratoires graves et contribue aux maladies liées à la pollution de l’air.

« La mauvaise gestion des déchets plastiques dans de nombreuses villes et villages africains menace le droit fondamental à la santé« , alerte Greenpeace Afrique, qui documente depuis des années les effets dévastateurs de cette pollution sur les communautés locales.

Le Rwanda, champion africain de la lutte anti-plastique

Face à cette crise, certains pays africains ont pris les devants. Le Rwanda fait figure de pionnier : dès 2008, le pays a interdit la fabrication, l’utilisation, la vente et l’importation de sacs plastiques. En 2019, il est devenu le premier pays africain à imposer une interdiction totale des plastiques à usage unique.

Cette politique volontariste a transformé Kigali en l’une des capitales les plus propres d’Afrique. Le succès rwandais repose sur une approche globale : contrôles stricts aux frontières, alternatives durables, recyclage systématique et mobilisation citoyenne à travers l’umuganda, le travail collectif mensuel obligatoire.

Fort de cette expérience, le Rwanda co-préside aujourd’hui avec la Norvège la Coalition de Haute Ambition pour mettre fin à la pollution plastique. Cette coalition, qui rassemble 67 pays dont la France et l’Union européenne, milite pour un traité ambitieux visant à éliminer la pollution plastique d’ici 2040.

Des positions africaines convergentes mais des défis persistants

Lors des précédentes sessions de négociations, la majorité des États africains ont défendu une position commune : la nécessité d’une réduction drastique de la production de plastique à la source. Le Rwanda et le Pérou ont même proposé un objectif chiffré ambitieux : réduire de 40% la production de polymères plastiques primaires entre 2025 et 2040.

Cette proposition s’aligne sur les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat, reconnaissant le lien intrinsèque entre pollution plastique et changement climatique. Pour les États insulaires africains comme l’île Maurice, l’enjeu est existentiel : « Nous importons 90% de nos produits, et ils arrivent au pays dans des emballages plastiques« , explique Rajendra Kumar Foolmaun du ministère mauricien de l’Environnement. En outre, les déchets venus d’ailleurs, portés par les courants marins, contaminent les plages et les lagons de l’océan Indien.

Au total, 34 des 54 pays africains ont déjà adopté une forme de réglementation visant à réduire l’usage du plastique, principalement les sacs à usage unique. Cependant, la mise en œuvre reste inégale, freinée par le manque d’infrastructures de gestion des déchets.

Le spectre du « colonialisme des déchets »

Un enjeu crucial pour l’Afrique dans ces négociations concerne les transferts transfrontaliers de déchets plastiques. Le continent, qui ne produit qu’une infime partie du plastique mondial, devient progressivement le réceptacle des déchets des pays industrialisés – un phénomène que les activistes dénoncent comme un nouveau « colonialisme des déchets« .

Les négociateurs africains insistent sur la nécessité d’inclure dans le traité des dispositions strictes contre ces importations toxiques. L’accord de libre-échange en discussion entre les États-Unis et le Kenya cristallise ces inquiétudes, l’American Chemistry Council ayant fait pression pour que cet accord facilite l’exportation de déchets plastiques américains vers l’Afrique de l’Est.

Modou Fall

Les négociations de Genève s’annoncent particulièrement tendues. Un bloc de pays producteurs de pétrole – incluant l’Arabie saoudite, la Russie, l’Iran et la Chine – s’oppose fermement à toute limitation de la production de plastique, préférant miser sur le recyclage et la gestion des déchets. Or, comme le souligne Hellen Kahaso Dena de Greenpeace Afrique : « Nous ne pouvons pas parler de ce traité s’il n’est pas question de réduire la production. Même si nous agissons sur d’autres fronts, au final, nous continuerons de subir les impacts de la pollution plastique. »

L’administration américaine de Donald Trump, qui prône un « retour au plastique », vient aussi compliquer les discussions. « C’est l’éléphant dans la pièce : pour en finir avec la pollution plastique, il faut réduire sa production à la source. S’il n’y a pas de consensus là-dessus, il faut passer au vote et laisser la majorité décider« , plaide Charlotte Soulary de Zero Waste France. Face à ces résistances, la Coalition de Haute Ambition devra faire preuve d’unité et de détermination pour imposer un texte à la hauteur de l’urgence.

Des solutions innovantes portées par la société civile

En attendant un accord international, des initiatives locales fleurissent à travers le continent. Au Rwanda, des entreprises transforment les déchets plastiques collectés en matériaux de construction. Au Kenya et en Ouganda, des start-ups développent des alternatives biodégradables à partir de fibres végétales locales.

Ces innovations, souvent portées par de jeunes entrepreneurs africains, démontrent qu’une transition vers un monde sans plastique est non seulement nécessaire mais aussi porteuse d’opportunités économiques.

L’histoire jugera si les négociateurs auront su s’élever au-dessus des intérêts particuliers pour forger un accord à la mesure du défi planétaire. Pour l’Afrique, qui porte déjà le fardeau disproportionné de cette pollution globale, l’échec n’est pas une option.

Masque Africamaat
Spécialiste de l'actualité d'Afrique Centrale, mais pas uniquement ! Et ne dédaigne pas travailler sur la culture et l'histoire de temps en temps.
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