Touareg – Aqmi : un mariage forcé


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En septembre dernier, l’affaire de l’enlèvement des otages occidentaux a semé le trouble. De nombreux Touaregs sont accusés de sous-traiter pour Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Des suspicions qui pèsent sur les jeunes nomades du Niger et du Mali, bien décidés à faire entendre leur voix.

«Ce n’est pas possible», répète Ibrahima, un jeune touareg malien. «Nous sommes là pour revendiquer nos droits, pas pour kidnapper des personnes. Ce n’est pas notre mode d’action », ajoute-t-il. Les hommes du désert font bloc et « refusent d’être incriminés à tort ». Depuis l’enlèvement de cinq Français et deux Africains par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) au Niger, en septembre dernier, les Touaregs se trouvent au cœur d’une polémique. En cause : leurs liens supposés avec ce groupe terroriste. Niamey a semé le doute en affirmant que les ravisseurs parlaient « majoritairement » arabe et tamasheq, la langue des Touaregs de la région. Une information reprise par Bernard Kouchner. Le ministre français des Affaires étrangères a déclaré qu’ils « pourraient traiter » avec l’Aqmi. Ces déclarations n’ont pas plu aux principaux intéressés qui souhaitent que les officiels « arrêtent de faire l’amalgame entre l’Aqmi et les Touaregs ». « C’est trop facile, à chaque fois qu’il se passe quelque chose, on vient nous demander des comptes, tout ça pour nous rabaisser et balayer nos revendications des précédentes rébellions. Il s’agit d’une pure tactique politique », renchérit Moussa Bilalan Ag-Ganta, membre du groupe Desert Rebel et président du Collectif des associations du Nord-Niger.

La faute aux gouvernements

Après les différentes rébellions des années 2000, les Touaregs avaient manifesté leur intention de combattre l’Aqmi. La mise en place d’unités spéciales avait d’ailleurs été prévue lors des accords de paix d’Alger en juillet 2006 entre le Mali et les anciens combattants. Ceux-ci prévoyaient l’intégration des ex-rebelles dans l’armée malienne. Selon le comité de suivi de ces mêmes accords, les ex-rebelles auraient été un « remède efficace » contre l’Aqmi dans le désert car « ils connaissent bien la zone ». Pourtant, jusqu’à aujourd’hui, aucune unité n’a vu le jour. Les autorités semblent réticentes à coopérer avec la population du Nord. « Les Touaregs ont toujours été écartés du pouvoir. Ils sont laissés pour compte en raison de considérations ethniques », explique Abdoulahi Attayoub, président du site internet touarègue Temoust.org. Perçus comme « des guerriers », les hommes du désert n’ont pas bonne réputation.« Il y a cette culture de la méfiance que cultive Bamako depuis l’indépendance à l’égard des communautés du nord malien. Ce rejet de l’autre est à l’origine de tous les conflits armés et politiques entre les Touaregs et les pouvoirs en place », explique Hama Ag Sid’ahmed, porte-parole et chargé des relations extérieures du Mouvement Touareg-Mali.

Un terrain propice ?

D’après nombre d’observateurs, cette mise à l’écart pousserait les Touaregs dans les bras de l’Aqmi. Au Niger, comme au Mali, les régions du Nord ne bénéficient pas assez d’aides au développement local. Conséquence : le chômage n’en finit pas de grimper. « Les jeunes tournent en rond, ne savent pas quoi faire. Il n’est pas à exclure que certains d’entre eux se rapprochent de l’Aqmi pour juste se faire de l’argent », note M. Attayoub. Comme ironise le porte-parole du mouvement touareg, l’Aqmi serait « la seule entreprise au nord qui fonctionne et qui gagne tous les marchés sans faire de l’investissement ».

Dans les régions du Sahara, beaucoup de Touaregs vivent dans des conditions précaires. Et la récente suspension des vols, par la compagnie aérienne Point Afrique qui desservait les villes du Nord, n’a rien arrangé au problème. « Quatre vingt pour cent de la population vivait du tourisme et de l’artisanat à Agadez (ville située au nord du Niger, ndlr). Maintenant, ils sont tous au chômage ! », confie Moussa Bilalan Ag-Ganta. Excepté l’activité minière, le tourisme était la principale ressource de ces régions. Privés de leur manne financière, les Touaregs sombrent dans l’illégalité. Selon certaines sources, des chameliers, des jardiniers, se livreraient au banditisme pour assurer la survie de leur famille. Mais la conjoncture économique ne serait pas la seule responsable de cette situation. Certains chefs de la dernière rébellion nigérienne se seraient partagés l’argent versé par la Libye pour mettre un terme au conflit en 2009. Une somme estimée entre un et cinq millions d’euros, qui n’ a pas été reversée aux anciens combattants et à la population. « Cet acte a encouragé la communauté à se livrer au banditisme », commente Abdoulahi Attayoub.

Absence de cause commune

Néanmoins, pour les Touaregs, une chose est sûre : les personnes qui vendent leurs services pour des enlèvements ou des trafics restent marginaux et ils ne servent en aucun cas la cause religieuse des djihadistes. « Dans la région de Tombouctou (ville située au nord du Mali, ndlr), il y a très peu de musulmans pratiquants. Pour exemple, une infime proportion observe les fêtes religieuses », explique Ibrahima, un jeune touareg malien. Dans cette affaire, les suspicions et les liens entre l’Aqmi et les Touaregs demeurent opaques. Désertées par les journalistes et les touristes, coupées de l’extérieur, ces régions du Sahara entretiennent plus que jamais le mystère.

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