
Les Jeunes Agriculteurs des Pyrénées-Orientales et la FDSEA 84 mènent une offensive contre les importations de tomates marocaines, notamment les tomates cerises. Lors d’une opération de sensibilisation à l’hypermarché Carrefour Courtine près d’Avignon, une vingtaine de producteurs ont exprimé leur colère face à ce qu’ils considèrent comme une concurrence déloyale. « Avec vos tomates marocaines, vous nous tuez », a lancé un producteur, dénonçant les écarts de coûts de production : 15 euros par hectare en France contre 1 euros au Maroc.
Les producteurs s’insurgent contre certaines enseignes qui ne proposent en entrée de gamme que des tomates marocaines. Ils réclament que les tomates françaises soient aussi présentes dans cette gamme avec des marges réduites, estimant que les distributeurs se rattrapent sur les produits français en appliquant des marges élevées. À 99 centimes, les tomates marocaines sont vendues à prix coûtant, quand les tomates françaises subissent une inflation artificielle en rayon.
Des actions coups de poing pour dénoncer la concurrence déloyale
Déjà en mai 2024, les syndicats agricoles français avaient organisé un barrage filtrant au péage de Perpignan-Sud, ciblant les camions transportant des fruits et légumes marocains. Des cargaisons de tomates-cerises avaient été déversées sur la route, illustrant la colère des agriculteurs face à des volumes d’importation jugés excessifs.
Selon la FDSEA, près de 500 000 tonnes de tomates marocaines pénètrent chaque année le marché européen, bénéficiant d’une quasi-exonération de droits de douane. La main-d’œuvre au Maroc coûte 14 fois moins cher qu’en France, ce qui rend la concurrence insoutenable. De plus, les agriculteurs français critiquent l’étiquetage des produits, jugé trompeur : l’origine « Maroc » serait souvent peu lisible et camouflée sous un emballage à forte consonance française.
Les producteurs français réclament des mesures concrètes
Face à ces constats, les agriculteurs demandent une révision des politiques d’achat des grandes surfaces, mais aussi une meilleure transparence sur l’étiquetage. À Agen, en avril 2024, des producteurs avaient apposé eux-mêmes des autocollants « Maroc » sur les tomates importées dans un supermarché, pour sensibiliser les consommateurs et exiger plus de visibilité pour les produits français.
L’association Légumes de France dénonce une origine « illisible » sur les barquettes de tomates-cerises. En plus de l’étiquetage, les agriculteurs critiquent les accords douaniers qu’ils estiment dépassés, comme l’accord UE-Maroc de 2012. Celui-ci prévoit un quota d’exportation de 285 000 tonnes entre octobre et mai, avec un abattement de 60% des frais de douane. Or, selon les producteurs, ce quota est en réalité largement dépassé.
Le Maroc défend ses exportations face aux accusations françaises
La réaction ne s’est pas fait attendre du côté marocain. Youssef Alaoui, secrétaire général de la Comader (Confédération marocaine de l’agriculture), a défendu la conformité des produits marocains aux normes européennes. Il estime que les tomates marocaines sont devenues le bouc émissaire d’une crise agricole française structurelle, et rappelle que ces produits respectent les standards sanitaires et d’étiquetage.
Alaoui souligne aussi le rôle économique des tomates marocaines pour la France : de nombreuses sociétés d’exportation emploient des centaines de personnes dans la plateforme logistique de Saint-Charles à Perpignan. Il rappelle également que la France ne produit pas de tomates toute l’année, et qu’un arrêt des importations marocaines aurait des conséquences environnementales et économiques importantes.
Contexte tendu et coopération franco-marocaine complexe
Des actions plus radicales ont été menées début 2024, lorsque des agriculteurs français – suivis par des Espagnols – ont brûlé des cargaisons de tomates marocaines. Ces événements ont poussé les autorités marocaines à porter plainte pour destruction de biens. En parallèle, le secteur marocain fait face à ses propres difficultés : sécheresse, virus agricoles et pression du marché européen.
lire aussi : La guerre de la tomate s’intensifie entre l’Espagne et le Maroc
Entre janvier 2023 et janvier 2024, les importations de tomates marocaines en France sont passées de 394 740 à 424 690 tonnes (+7%), représentant 27,5% d’augmentation en valeur. Aujourd’hui, 6 tomates sur 10 consommées en France sont marocaines. Le Maroc a optimisé sa production, atteignant des rendements supérieurs à une tonne par jour par hectare. Cette croissance est largement portée par des partenariats avec des entreprises françaises comme Azura ou Idyl, actives dans l’export vers l’Europe.
Crise énergétique et production française en recul
La guerre en Ukraine a aggravé la situation des producteurs français. La hausse du prix du gaz, nécessaire au chauffage des serres, a provoqué une chute de 13% de la production de tomates en France. Pendant ce temps, le Maroc consacre 7 500 hectares à la culture de la tomate, avec une main-d’œuvre bon marché et une météo favorable.
Ironie de la situation : une partie de cette production marocaine est assurée par des sociétés françaises, ce qui brouille les lignes entre intérêts nationaux et logiques de marché. Selon des professionnels d’Agadir, « les vrais responsables sont les grandes surfaces, pas les exportateurs marocains », appelant à recentrer le débat sur les marges de distribution plutôt que sur les produits eux-mêmes.