Soudan du Sud : le système de prédation pétrolière vacille après la disparition de 700 millions de dollars


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Corruption au Soudan du Sud
Corruption autour du pétrole au Soudan du Sud

Un scandale de 700 millions de dollars disparus ébranle le système de corruption pétrolière sud-soudanais. Après les limogeages du vice-président Benjamin Bol Mel, du gouverneur de la banque centrale et du chef de l’autorité fiscale, c’est Deng Lual Wol au ministère du Pétrole qui vient d’etre arrêté face à l’ampleur du pillage révélé.

Le château de cartes s’effondre

Le système de prédation qui gangrène le Soudan du Sud depuis des années semble vaciller. Le président Salva Kiir a limogé mercredi le vice-président Benjamin Bol Mel selon un décret lu à la télévision d’État. Dans la foulée, le gouverneur de la banque centrale et le chef de l’autorité fiscale ont également été démis de leurs fonctions.

Ces têtes qui tombent ne sont que les premières. Au ministère du Pétrole, Deng Lual Wol, récemment réinstallé après avoir remplacé Chol Deng Thon Abel qui travaillait sur un rapport pour dénoncer la corruption, se retrouve au cœur d’un cyclone. Déjà cité dans de précédents scandales de corruption, son maintien apparaît désormais comme une anomalie dans ce contexte de purge. Selon plusieurs sources à Juba, « sa chute n’est qu’une question de jours, peut-être d’heures« . C’est désormais chose faite, il vien d’être arrêté.

Un trou béant de 700 millions dans les caisses

L’ampleur du scandale qui secoue le régime est vertigineuse. Selon des données confidentielles obtenues auprès du ministère du Pétrole, 29 cargaisons de 600 000 barils chacune ont été exportées entre juillet 2024 et octobre 2025, soit 17,4 millions de barils de brut. Vendues à un prix moyen de 73 dollars le baril, ces exportations auraient dû rapporter plus d’un milliard de dollars à l’État.

Or, selon une source proche du ministère des Finances, seulement 300 millions ont été crédités sur les comptes publics. Les 700 millions restants se sont évaporés dans un labyrinthe d’entreprises intermédiaires, d’escomptes anormaux et de contrats non déclarés, un système dont Deng Lual Wol connaît tous les rouages.

Le ministère du Pétrole, épicentre du système

Le ministère du Pétrole constitue la clé de voûte de ce système de prédation. Son contrôle quasi-exclusif sur les flux financiers, son absence de supervision et les réseaux politiques qui lui sont liés ont permis cette hémorragie systématique des ressources nationales.

Les cargaisons ont été cédées à des négociants privilégiés – Cathay Petro, BGN et Epossa – trois entreprises opérant dans l’orbite du groupe EuroAmerica d’Idriss Taha. Une formule de prix truquée leur garantissait des rabais de 14 dollars par baril, soit encore des centaines de millions de dollars de manque à gagner pour l’État.

La tentative d’investigation avortée

Le système semblait pourtant avoir été mis à nu. Nommé fin octobre, Chol Deng Thon Abel avait immédiatement lancé une enquête sur ces détournements massifs. Selon plusieurs sources internes, il s’apprêtait à soumettre un rapport explosif au gouvernement. Mais le 6 novembre, après seulement une semaine en fonction, il était brutalement limogé et remplacé par… Deng Lual Wol, l’homme même au cœur du système qu’il tentait de dénoncer.

Ce retour express de Wol, perçu initialement comme une victoire des réseaux de corruption, a finalement précipité sa chute. « Il est devenu le symbole de tout ce qui ne va pas. Avec les autres qui sont tombés, son maintien est désormais impossible« , analyse un diplomate occidental à Juba.

Les cargaisons disparues ont pris la route de Singapour, la Thaïlande, Fujairah et la Chine – des hubs où le pétrole est mélangé avant revente, rendant toute traçabilité impossible. Ces pratiques rappellent les scandales antérieurs impliquant la société nationale Nilepet, où les flux financiers transitaient par des comptes offshore aux Émirats et à Singapour.

Un pays saigné à blanc

Pendant que les réseaux de prédateurs se gavaient, 7 millions de Sud-Soudanais survivent dans l’insécurité alimentaire. Le Panel d’experts de l’ONU notait en 2024 que « la corruption systémique dans le secteur pétrolier prive le pays de ressources essentielles pour répondre aux besoins humanitaires urgents« .

Les 700 millions disparus auraient pu financer deux ans de budget de santé ou l’éducation d’un million d’enfants. Au lieu de cela, ils ont alimenté un système qui s’effondre aujourd’hui sous le poids de ses propres excès.

Pour l’heure, aucun audit officiel n’a été annoncé. Mais la série de limogeages en cours suggère que Salva Kiir, face à l’ampleur du scandale et peut-être sous pression internationale, n’a plus d’autre choix que de sacrifier les piliers de ce système.

Dans les couloirs du pouvoir à Juba, on murmure que d’autres têtes vont tomber. Deng Lual Wol, symbole vivant de ce système de prédation, désormais arrêté, chute marquera peut-être – enfin – le début d’une vraie remise en cause du pillage organisé qui maintient le Soudan du Sud dans la misère.

Idriss K. Sow Illustration d'après photo
Journaliste-essayiste mauritano-guinéen, il parcourt depuis une décennie les capitales et les villages d’Afrique pour chroniquer, en français, les réalités politiques, culturelles et sociales de l'Afrique
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