Sommet de Copenhague : « C’est d’une voix africaine commune et forte qu’il fallait s’exprimer »


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Fils du Congo, où se trouve l’un des poumons de la planète, Marcel Guitoukoulou a suivi avec attention le déroulement de la conférence de Copenhague sur le climat, le mois dernier. Une rencontre dont il juge les résultats décevants au regard des immenses espoirs soulevés en amont, mais encourageants pour les futures négociations que l’Afrique devra mieux préparer.

Médecin de formation, élevé par le président français au rang de « Chevalier de l’Ordre national du mérité », Marcel Guitoukoulou est depuis 2007 le président du Congrès du peuple, son parti politique. En juillet dernier, sa candidature à l’élection présidentielle a été invalidée pour « défaut de résidence » au Congo-Brazzaville. Dans cet entretien, il revient sur le sommet de Copenhague et livre sa définition du Congo de 2010.

Afrik.com : Trois semaines après le sommet de Copenhague, quelles sont vos impressions ?

Marcel Guitoukoulou :
Comme vous le savez, le sommet de Copenhague avait suscité beaucoup d’espoir dans le domaine du réchauffement climatique et ses multiples effets néfastes sur la planète. Les résultats obtenus sont largement en deçà des attentes de tous les habitants de la terre. Je n’ai entendu quasiment personne déclarer que ce sommet avait débouché sur un accord satisfaisant, tout au plus certains ont parlé d’un premier pas encourageant qui préparerait les conditions d’un accord meilleur dans le futur. Sans être naïf, je serai plutôt proche de ce dernier avis quand on analyse objectivement les conditions de préparation de ce sommet. N’oublions pas qu’en dehors de la pression croissante de l’opinion publique, rien n’établissait d’une manière contraignante les engagements qui devaient en sortir. Le monde s’en était presque remis à la «?bonne foi?» des grands pollueurs. De façon synthétique, ce sommet s’est caractérisé par une absence de consensus net, clair et précis entre pays participants, sur un engagement chiffré sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Même si une avancée a été réalisée entre les U.S.A., le Japon, la France et la Grande- Bretagne pour un montant de 3,5 milliards de dollars pour un programme visant à protéger les forets tropicales. On constate de façon globale, le peu d’écho sur le programme de réduction des émissions résultant de la déforestation et de la dégradation des forêts tropicales. Nous savons tous que ces forêts jouent un rôle primordial dans la régulation du climat mondial, c’est-à-dire dans l’équilibre de l’écosystème mondial. Les forêts tropicales ont la propriété essentielle de stocker 5 fois plus de co2 que les forêts artificielles et présentent la richesse de la biodiversité.

Afrik.com : Puisque vous parlez des forêts tropicales, pensez-vous que la voix de l’Afrique ait été forte?

Marcel Guitoukoulou :
A ce sujet, il ne me semble pas que l’Afrique ait préparé comme il le fallait ce sommet. Son poids diplomatique, encore une fois, était insignifiant. Le mini-sommet organisé par les présidents Sarkozy, Sassou-Nguesso, Biya, Bozizé et Déby m’a paru maladroit dans le timing et dans sa forme. Dans le timing parce qu’il est intervenu assez tard pour influer sur le cours du sommet mais aussi gênant qu’il soit calé entre les concertations menées auparavant entre pays africains et le sommet de Copenhague. C’est d’une voix africaine commune et forte qu’il fallait s’exprimer, même s’il s’agissait des voix de quelques pays parrainés ou, si vous voulez, portée par la France. Dans la forme, l’activisme du président français et la révélation dans la presse de ses interventions auprès de Barack Obama avaient agacé beaucoup de pays pour que ces initiatives eussent suscité l’adhésion à ce sommet. Mais cela ne remet pas en cause l’intérêt du soutien français mais, vous savez, en diplomatie la forme peut considérablement gêner la réalisation des objectifs même partagés. Enfin, sur les résultats concrets en faveur de l’Afrique, il ne faudra pas que l’on se satisfasse uniquement des milliards versés, il faut une action globale qui imposerait une gouvernance responsable de la question de la déforestation, du déboisement pour des besoins ménagers, mais également une éducation des populations sur des attitudes écologiques en les convainquant qu’il y a un lien logique, évident avec leur bien-être. Cela exige d’avoir des gouvernements exemplaires et crédibles, ce qui n’est pas le cas partout… Vous voyez ce que je veux dire. Concernant les pays occidentaux et les géants asiatiques, il serait bon qu’ils ne se contentent pas du statut réducteur du «?pollueurs-payeurs?». Je souhaite qu’ils exportent de moins en moins de produits et de technologies très polluants ou non-recyclables. Lorsqu’ils engagent des grands chantiers dans beaucoup de pays, il faut que l’exigence écologique en soit l’un des principaux éléments régulateurs.

Afrik.com : Ce qui veut dire que ce sommet n’a pas été une réussite…

Marcel Guitoukoulou :
A la lumière de ces faits, je ne peux parler de réussite, même si des engagements financiers ont été annoncés pour aider les pays pauvres. La solution ne doit pas se résumer à une prime à la pollution afin de dédommager les plus démunis. En ce moment, la réflexion doit se faire sur notre façon de faire, réorienter la technologie actuelle vers un mode de production non polluant, respectant l’écosystème mondial et l’intégrité physique et psychologique de l’être. Des espoirs sont encore permis, surtout que l’humanité tout entière n’a plus le choix. La pression des opinions se fait de plus en plus forte. Elle va contraindre, sans nul doute, les Etats à moins d’égoïsmes, face à leur responsabilité devant l’histoire. C’est ce que nous vérifierons lors des rendez-vous à venir, en commençant par celui de Mexico.

Afrik.com : La lutte?contre le réchauffement climatique vous paraît-elle compatible avec la pauvreté ? Epousez-vous ce concept qu’adore Alain Juppé : « La sobriété heureuse »?

Marcel Guitoukoulou :
D’emblée, le lien ne semble pas clairement établi entre la lutte contre le réchauffement climatique et celle contre la pauvreté notamment dans les pays du sud, mais il s’agit là de deux fronts d’un même combat, car l’on ne peut dissocier la santé de la planète du mieux-être des populations ou qu’elles vivent. Au fil des années, on évoquera ce lien ne fût-ce que pour faire participer activement les populations du sud à la préservation des poumons de la terre que sont nos forêts. Cependant, il ne faudra pas que certains gouvernements s’en servent pour se défausser de leurs responsabilités concernant la lutte contre la pauvreté qui relève d’abord des politiques économiques et sociales des Etats. Je ne minimise pas bien sûr l’impact de la mondialisation ni des rapports inégaux Nord-Sud, mais la pauvreté résulte souvent ou est aggravée par le manque d’éducation, une mauvaise répartition des richesses nationales, l’urbanisation mal maîtrisée, voir totalement anarchique… Avec l’aide de divers partenaires, les pays africains au sud du Sahara devraient privilégier des énergies renouvelables et moins polluantes, mais facilement disponibles dans les zones rurales. L’utilisation de l’énergie solaire dans des pays assez peu ensoleillés, devrait nous faire réagir. L’attitude de l’Afrique ne doit pas se contenter des décisions des pays industrialisés; elle doit s’y mettre elle-même. La collecte anarchique et désordonnée du bois de cuisson à la ceinture des villes africaines demeure une problématique. L’instauration d’une licence d’exploitation à des zones spécifiques qu’accompagne un reboisement, permet non seulement d’approvisionner les villes. Ce mode de gestion permet de générer un revenu monétaire aux paysans tout en assurant la reconstitution de la ressource. En instaurant la COMIFA (commission des forets d’Afrique centrale), on note un début d’efforts et de prise de conscience car le bassin du Congo, rappelons le a un plan de travail avec des décisions concernant la traçabilité du bois exploité et commercialisé… Quant au concept de «?Sobriété heureuse?» évoqué par M. Alain Juppé, je rappelle qu’il avait été initié par Pierre Rabhi, paysan, écrivain, philosophe, conseiller en sécurité alimentaire auprès de l’ONU. Ce dernier fait le lien entre la question de l’acceptation d’un certain nombre d’éléments de simplicité volontaire et la question fondamentale du mieux-être. Je me réjouis donc qu’Alain Juppé parle de décroissance des gaspillages multiples de la société de consommation. Je partage donc cette idée de nouvelle croissance respectueuse des équilibres naturels afin de subvenir aux besoins élémentaires des hommes.

Afrik.com : Pour prendre l’exemple du Congo, pensez-vous que ce pays?lutte suffisamment contre la déforestation, sachant que la forêt est consommatrice du gaz carbonique? L’archevêque de Douala, Samuel Kléda, a dénoncé « l’exploitation abusive de la forêt dans le Bassin du Congo »…

Marcel Guitoukoulou :
La forêt couvre 60% du territoire congolais. Elle représente près de 12% des forêts de l’Afrique centrale, dont le bassin du Congo. A cet effet, des mesures ont été prises avec l’appui de la F.A.O. pour une gestion équilibrée et durable des ressources forestières, une gestion participative des pouvoirs publics, des populations locales, du secteur privé et des O.N.G. La réalité est malheureusement différente?: des ONG parlent même de?«saccage des forêts primaires d’Afrique centrale plus rapide que ne l’avouent les discours officiels des gouvernements africains…?» Un intérêt particulier doit être porté sur les besoins en bois de chauffe des populations. La très forte dégradation des forêts proches des centres urbains est inquiétante. Elle favorise des très fortes érosions et défigure l’environnement. Là encore la décroissance des gaspillages doit s’illustrer dans le recyclage des déchets de l’industrie du bois pour pallier le bois de chauffe des populations.

Afrik.com : Vous avez le même âge que le Congo : 50 ans. Comment définissez-vous, sur le plan philosophique,?le Congo de 2010? Est-ce « la revanche de l’abstrait sur le concret », pour transposer les mots de Julien Benda, ou « un pays très différencié »?

Marcel Guitoukoulou :
Julien Benda, par la pertinence de ses réflexions, est toujours d’actualité. Plus encore aujourd’hui. N’empêche, il faut se garder quelquefois de transposer des philosophies d’ailleurs, si pertinentes soient-elles, exprimées à des époques particulières, à la situation du Congo. Dans son propos, je crois savoir que Julien Benda appelait à «?faire triompher les idéaux abstraits et désintéressés : la vérité, la justice, la raison, la liberté intellectuelle et sociale?». Une recommandation faite, je dirais en opposition à «?la tendance à l’action, la soif du résultat immédiat, l’unique souci du but, le mépris de l’argument, l’outrance, la haine, l’idée fixe?» qui caractérise les politiques. Sa recommandation vaut bien sûr pour le Congo qui a urgemment besoin de la réhabilitation de la morale notamment auprès des tenants du pouvoir dans l’espoir qu’elle devienne une valeur partagée par tous et qui professerait que l’intérêt et l’épanouissement personnel ne sont possibles que dans la primauté de l’intérêt collectif avec les préalables qu’il imposerait?alors : «?la vérité, la justice, la raison, la liberté intellectuelle et sociale?» pour reprendre l’énumération de Julien Benda. Cependant, il ne faut pas oublier que cette pensée de Julien Benda a connu plusieurs lectures, certaines opposant par exemple le christianisme au paganisme, le temporel à l’intemporel ou encore le droit du sang au droit du sol dans l’idée de la nation en France. Vous comprendrez donc ma réserve à vouloir appliquer cette pensée au Congo. Néanmoins, le peuple congolais entend reconstruire le pays dans l’unité certes, mais dans un esprit de changement et de rupture. Le Congo doit tendre vers une nation, non seulement du fait de ses langues véhiculaires, de son unité géographique, mais surtout parce qu’il s’inscrit dans une logique républicaine. Vivre en République, c’est avoir le sens de l’Etat, assurer la redistribution de la richesse nationale et respecter le patrimoine national. Je ne demande à personne de nier ses origines ethniques, de rejeter ses différences philosophiques et sociales. Par contre, il est indispensable de faire de toutes ces différences une force qui gouverne et non qui régente.?Pour le Congo de 2010, l’abstrait est symbolisé par l’ambition personnelle démesurée, alors que le concret ne reconnait qu’une seule frontière: l’intérêt national. Le Congo de 2010 est celui des patriotes enfin rassemblés pour servir la République et non pour célébrer le « colonialisme national ». C’est une nouvelle page de l’histoire congolaise qu’il faut commencer à écrire, un demi-siècle après son indépendance. Tourner la page est à ce prix. Tourner la page c’est regarder résolument vers l’avenir. D’autres peuples avant nous l’ont fait et réussi. La France s’est retrouvée autour du général De Gaulle pour se reconstruire, l’Afrique du sud a trouvé en M. Nelson Mandela le mortier d’un Etat multiracial. ?Dès à présent, le Congo du nord au sud, de l’est à l’ouest, est appelé à se rassembler autour des valeurs humanistes bien de chez nous, « kimuntu », « bomoto », pour bâtir la République,?l’Etat et la Démocratie.

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