
Son documentaire Diaze, un regard sur Mayotte enchaîne les prix internationaux, de Montréal à Cannes. Tourné trois mois avant le cyclone dévastateur, il est devenu malgré lui la mémoire d’une île meurtrie. Rencontre avec une réalisatrice qui a voulu, à travers le portrait d’un jeune Mahorais d’origine comorienne, célébrer une jeunesse engagée et tournée vers l’avenir.
Comment avez-vous rencontré Diaze Abdou, et qu’est-ce qui vous a donné envie de faire de lui le fil conducteur de ce documentaire ?
Solène Anson : J’ai rencontré Diaze Abdou sur les réseaux sociaux, alors que je venais d’arriver sur l’île pour une mission de deux mois à Mayotte, pour une chaîne de télévision, en 2023. Je cherchais à profiter des activités proposées sur le territoire, et Diaze, membre d’une association de randonnée, m’a alors proposé de venir marcher avec lui.
Au départ, je souhaitais mettre en avant différents acteurs du territoire, hôteliers, agriculteurs, pêcheurs, puis j’ai eu envie de révéler les défis et les espoirs d’une jeunesse engagée. Diaze, âgé de 25 ans, s’est imposé comme une évidence. Sur ses réseaux sociaux, ses images de drone de Mayotte étaient splendides ; cela m’a donné l’idée d’en faire un film.
C’est aussi quelqu’un de très ouvert et bienveillant. À travers son regard, je raconte son quotidien et dresse le portrait sensible et attachant d’un jeune Mahorais. Le film aborde également des thématiques comme la transmission culturelle, la sécheresse, la déforestation et les difficultés économiques, tout en célébrant l’entraide et l’envie d’un avenir solidaire. Diaze fait tout simplement partie de cette nouvelle génération tournée vers l’avenir.
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Il est également Comorien, arrivé d’Anjouan avec sa mère à l’âge de trois mois. On connaît les relations tendues et parfois violentes entre Comoriens et Mahorais. J’ai donc voulu, à travers ce documentaire, apaiser les tensions et porter un message de paix. Je trouvais cette approche originale, et je suis heureuse que les festivals l’aient perçue. Les médias se focalisent souvent sur la politique, mais je reste persuadée que le monde peut changer. En tant que réalisatrice, il faut savoir être créative et laisser parler son imagination. L’Afrique a un potentiel immense ; ce fut un véritable régal de réaliser ce film.
Le film a été tourné trois mois avant le passage du cyclone Chido. Comment vivez-vous le fait que votre documentaire soit devenu, en quelque sorte, la mémoire d’un Mayotte qui n’existe plus ?
Solène Anson : Avant le cyclone Chido, les problématiques étaient déjà présentes. Mais je me dis aujourd’hui que j’ai eu énormément de chance de réaliser ce documentaire avant son passage. J’ai vu beaucoup de films tournés après Chido, et celui de Diaze porte une lumière unique et authentique que l’île mettra du temps à retrouver.
C’est pour cette raison qu’il est important de le partager à l’échelle internationale : pour s’en inspirer et contribuer à reconstruire un Mayotte encore plus beau.
Vous abordez des sujets lourds, sécheresse, insécurité, menaces environnementales, tout en laissant une place à l’espoir. Comment avez-vous trouvé cet équilibre dans l’écriture et le montage ?
Solène Anson : J’ai tout simplement donné la parole aux habitants, sans clichés ni préjugés. L’atout du documentaire réside dans son approche dépassionnée. Le film explore aussi la question de l’identité sans entrer dans les polémiques, notamment à travers le regard d’un jeune Comorien ayant vécu toute sa vie dans le département.
Tous évoquent ces sujets lourds, mais les relativisent toujours. Je dirais que les Mahorais ont l’habitude de ces difficultés : ils vivent avec au quotidien, malgré la sourde oreille des dirigeants et des élus. J’ai également voulu relativiser en mettant en lumière les atouts de ce petit coin de paradis. Je suis restée à l’écoute et apporter quelques touches d’humour avec eux.
Le film est récompensé à la fois pour sa dimension environnementale et pour sa contribution au cinéma africain. Ces deux reconnaissances vous semblent-elles complémentaires ?
Solène Anson : Oui, ces deux reconnaissances me semblent non seulement complémentaires, mais aussi très cohérentes.
La récompense environnementale met en valeur la dimension universelle du documentaire : la relation entre un territoire, ses écosystèmes et les humains qui y vivent. À Mayotte, les enjeux environnementaux sont indissociables des réalités sociales, culturelles et historiques. L’environnement n’est pas un simple décor, mais un acteur central du récit.
La reconnaissance pour la contribution au cinéma africain souligne, quant à elle, l’importance du point de vue porté par le film. Diaze, un regard sur Mayotte participe à une écriture cinématographique africaine qui donne la parole à des territoires souvent marginalisés et enrichit l’imaginaire collectif par des récits sensibles, ancrés et politiques.
Ces deux prix se rejoignent autour d’une même idée : raconter un territoire africain à travers ses fragilités écologiques tout en affirmant une identité culturelle et cinématographique forte. Ensemble, ils confirment que l’écologie et la culture sont profondément liées, en particulier dans un contexte comme celui de Mayotte.
L’Afrique paie souvent le prix des autres continents, car ses ressources naturelles, humaines et culturelles ont été et continuent d’être exploitées pour alimenter des modèles de développement qui ne sont pas les siens. Ces « trésors » ne sont pas uniquement miniers ou environnementaux, ils sont aussi symboliques, mémoriels et territoriaux.
À Mayotte, cela se traduit par une pression extrême sur les écosystèmes, une surexploitation des sols et de la mer, et un déséquilibre entre ce qui est prélevé et ce qui est réellement rendu au territoire et à ses habitants.
Après Montréal, Cannes, Paris et bientôt l’Inde : qu’attendez-vous de ce parcours en festivals, et quels sont vos projets de réalisation ?
Solène Anson : Après Montréal, Cannes, Paris et bientôt l’Inde, j’espère que le film pourra toucher un public toujours plus large, car le souhait de Diaze était avant tout qu’il soit vu. Ces distinctions m’ont permis d’échanger avec des distributeurs et des producteurs, et d’envisager de futures collaborations, voire une diffusion plus large du film.
Je pense que ce projet a encore de très beaux jours devant lui. À terme, je ne le cache pas, l’objectif serait une diffusion sur une plateforme. Mais avant cela, le film doit poursuivre son chemin et prouver tout son potentiel sur le terrain.



