Sénégal : les prix du mouton flambent à l’approche de l’Aïd el-Adha


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Un troupeau de moutons
Un troupeau de moutons

À l’approche de la Tabaski, les prix des moutons explosent au Sénégal, atteignant jusqu’à 300 000 FCFA, dans un contexte économique tendu. Nombreux sont ceux, comme Moustapha ou Amadou, à ne plus pouvoir suivre. Les vendeurs, eux, peinent à écouler leur bétail malgré la forte demande. Certains foyers envisagent de renoncer au sacrifice ou de s’unir pour en acheter un. Face à cette situation, des appels à l’aide de l’État se multiplient, alors que la fête perd de sa sérénité habituelle.

À quelques jours de la Tabaski, célébration importante pour les musulmans du Sénégal, l’ambiance est à la fois fébrile et morose dans les grandes villes du pays. Sur la route nationale 1, à une douzaine de kilomètres du centre-ville de Dakar, se dresse le foirail de Pikine. Peint aux couleurs criardes d’un géant de la quincaillerie, le mur d’enceinte est devenu un repère pour tous ceux qui espèrent encore trouver un mouton à un prix « raisonnable ».

Mais cette année, comme un air de déception flotte sur le site. Le pouvoir d’achat est en berne, et les prix s’envolent. Il faut désormais compter entre 200 000 et 300 000 francs CFA pour un bélier moyen, capable de faire bonne figure le jour de la fête. Une somme colossale dans un pays où le salaire minimum garanti est fixé à 64 000 FCFA. Sous un soleil de plomb, des centaines de moutons paissent mollement sur la poussière, attachés à des piquets de fortune.

Un marché morose malgré la foule

Les vendeurs, eux, scrutent chaque visiteur avec un mélange d’espoir et de résignation. Car les clients viennent, négocient longuement, puis repartent, souvent bredouilles. « Les prix ne suivent pas nos réalités », lâche une passante, manifestement excédée. Au milieu des badauds, Moustapha, 45 ans, père de cinq enfants, regarde les moutons les uns après les autres, en soupirant.

« C’est devenu une affaire de riches. Regardez ces bêtes ! Même les plus petits coûtent plus de 150 000 FCFA. Comment je fais, moi, avec mes maigres revenus ? Mes enfants veulent un gros mouton, mais moi je n’ai que 100 000 francs. On va faire comment ? La Tabaski, c’est une fête, pas un supplice », se lamente-t-il, les mains dans les poches, l’air résigné. Un peu plus loin, Amadou, 53 ans, père de trois enfants, est confronté à un dilemme domestique qui lui donne des sueurs froides.

« Ma femme adore les grosses bêtes. Elle dit que c’est une question de prestige, de face, comme on dit ici. Mais moi, avec mes moyens, je ne peux pas. Je n’ai que 200 000 francs. Et encore, c’est en vendant ma vieille moto. Soit j’achète un petit mouton et je dors tranquille, soit je m’endette pour éviter les disputes le jour de la fête. Franchement, ce n’est pas juste », confie-t-il en essuyant son front ruisselant de sueur.

Entre tradition et double vie, les vendeurs dans l’impasse

Non loin de là, Ousseynou, la trentaine, regarde deux moutons avec intensité. L’un est gros, l’autre modeste. Son hésitation trahit une situation particulière. « J’ai deux foyers à gérer. Ma femme officielle à Guédiawaye, et ma copine aux Parcelles Assainies. Les deux veulent un mouton. Mais avec ces prix, je ne peux en acheter qu’un gros et un petit. Maintenant, à qui je donne le plus gros ? Si je choisis ma femme, ma copine va se fâcher. Si je fais l’inverse, c’est ma maison qui explose ! C’est dur, franchement. Même les moutons sont devenus des arbitres de nos vies privées », lâche-t-il, mi-sérieux, mi-amusé.

Du côté des vendeurs, la situation n’est pas plus reluisante. Ngagne, la cinquantaine, vêtu d’un grand boubou beige et assis à l’ombre d’un petit parasol, regarde ses bêtes avec inquiétude. Il en a fait venir plus d’une centaine du nord du pays, mais à quelques jours de la fête, il n’en a vendu que trois.

« L’année dernière à la même période, j’avais presque tout vendu. Cette année, les gens viennent, demandent les prix, puis s’en vont. Ils n’ont pas d’argent. Même quand on baisse les prix, ils disent qu’ils vont revenir, mais ne reviennent pas. Les frais de transport, l’alimentation, les taxes… tout a augmenté. Si ça continue comme ça, je vais rentrer avec mes moutons. Et ça, c’est la catastrophe », explique-t-il, inquiet.

Ngagne dit avoir investi plus de 10 millions de francs CFA cette saison. Il espérait doubler son chiffre d’affaires, comme à chaque Tabaski. Mais la conjoncture économique actuelle – inflation galopante, chômage élevé, dettes domestiques – rend la consommation difficile, même pour un rite aussi sacré.

Une fête sous pression économique

La Tabaski est pourtant l’un des événements les plus attendus de l’année par les musulmans sénégalais. Au-delà de la symbolique religieuse du sacrifice, elle revêt un caractère social important. Les enfants veulent exhiber leurs beaux habits, les femmes se lancent dans des concours culinaires, et les hommes se mesurent à travers la taille du mouton égorgé. Il s’agit, pour beaucoup, d’un moment de reconnaissance sociale.

Mais cette année, la réalité est brutale. De nombreux foyers envisagent de ne pas sacrifier ou de se regrouper pour acheter un mouton en commun. Une solution que beaucoup considèrent comme humiliante mais inévitable.

L’État appelé à intervenir

Face à cette situation, certains appellent l’État à réguler davantage le marché. Des subventions ou des aides ciblées sont demandées pour alléger le coût du sacrifice. Des voix s’élèvent aussi pour questionner la dépendance croissante aux importations de bétail, notamment en provenance du Mali et de la Mauritanie, où les prix de gros ont explosé cette année à cause des sécheresses.

En attendant, sur les marchés, vendeurs et acheteurs s’observent, chacun campé sur ses positions. La Tabaski approche à grands pas, mais l’euphorie habituelle n’est pas au rendez-vous. Les visages sont graves, les discussions animées, les négociations tendues. Le sacrifice du mouton devient cette année, plus que jamais, un sacrifice au sens propre.

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