Rwanda : le grand ménage de Paul Kagame dans les églises évangéliques


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Le Président Paul Kagame indexé par le FBI
Le Président rwandais, Paul Kagame

Au Rwanda, plus de 10 000 églises évangéliques ont été contraintes de fermer leurs portes ces dernières années. Sous couvert de régulation, le président Paul Kagame mène une politique stricte de contrôle des lieux de culte. Entre exigences administratives impossibles à remplir et discours accusateurs, ces fermetures soulèvent des interrogations sur la liberté religieuse. Des analystes y voient un outil pour contenir toute forme de contre-pouvoir.

Elles faisaient salle comble. Certaines rassemblaient des milliers de fidèles plusieurs fois par semaine, comme la célèbre Grace Room Ministry à la BK Arena de Kigali. Aujourd’hui, leurs portes sont closes. Depuis 2018, sous l’impulsion du président Paul Kagame, plus de 10 000 églises évangéliques ont été fermées au Rwanda. Une opération de « nettoyage » qui interroge : volonté sincère de régulation ou contrôle politique renforcé ?

Des lieux de culte dans le viseur présidentiel

La mèche est allumée depuis plusieurs années. Paul Kagame, au pouvoir depuis 1994, n’a jamais dissimulé son scepticisme envers les églises évangéliques, qu’il considère pour beaucoup comme des « repaires de bandits ». En novembre 2025, il affirmait devant la presse : « Si cela ne tenait qu’à moi, je ne rouvrirais même pas une seule église. Beaucoup ne font que voler. »

Un discours brutal, mais cohérent avec la série de mesures mises en place depuis 2018 : obligation de diplômes en théologie pour les pasteurs, conformité aux normes de sécurité incendie, soumission de rapports d’activités financiers, et depuis mars 2025, preuve d’un soutien d’au moins 1 000 fidèles pour toute demande d’enregistrement. Une exigence qualifiée d’« impossible » par certains leaders religieux, notamment pour les petites congrégations rurales.

Une « normalisation » à sens unique

Officiellement, le gouvernement affirme vouloir moraliser un secteur en pleine expansion, souvent critiqué pour ses dérives : prospérité fondée sur la culpabilité, manipulations financières, culte de la personnalité des pasteurs. « Il n’a pas de sens d’avoir une église tous les deux kilomètres à la place d’hôpitaux et d’écoles », souligne Ismael Buchanan, enseignant à l’Université nationale du Rwanda.

Mais au-delà des arguments pragmatiques, certains observateurs y voient un geste politique clair : casser des foyers d’influence perçus comme rivaux. Pour Louis Gitinywa, avocat et analyste politique : « Le Front patriotique rwandais s’irrite quand une organisation gagne en ascendant. C’est une manière pour le régime de rappeler qu’il n’y a pas de concurrent au FPR. »

Ce verrouillage du paysage religieux s’inscrit dans un contexte plus large : plus de deux décennie de pouvoir sans partage, un Parlement dominé par le parti présidentiel, et un espace civique étroitement surveillé. Les églises, lieux de rassemblement, de discours et parfois de contestation, peuvent aussi devenir des tribunes alternatives. Le pouvoir en est bien conscient.

Un paysage religieux traumatisé et remodelé

Le Rwanda reste un pays majoritairement chrétien, à 93 %, selon le recensement de 2024. Et paradoxalement, le traumatisme du génocide de 1994, souvent perpétré jusqu’à l’intérieur même des églises, a favorisé la création de nouvelles structures religieuses. Celles-ci ont longtemps comblé un vide psychologique et communautaire.

Mais le message de Kigali est clair : l’État d’abord, les églises ensuite. Dans ce modèle de gouvernance autoritaire mais efficace, les lieux de culte doivent s’aligner sur les « valeurs nationales » ou disparaître. « Le mépris du président pour les églises annonce des temps difficiles », confie un responsable religieux à Kigali, sous anonymat.

Et ailleurs en Afrique ?

La critique des églises évangéliques n’est pas une spécificité rwandaise. En 2017 déjà, l’ex-président kényan Uhuru Kenyatta dénonçait les « brigands qui utilisent la religion pour voler les Kényans ». Deux ans plus tard, le Kenya se retrouvera au cœur d’un drame religieux : en 2023, près de 450 personnes meurent de faim dans la forêt de Shakahola, sous l’emprise d’un pasteur autoproclamé.

Mais contrairement au Rwanda, Nairobi n’a pris aucune mesure d’envergure. Au Rwanda, en revanche, la sévérité de l’encadrement religieux, combinée au discours de plus en plus offensif du président Kagame, transforme le pays en laboratoire autoritaire de régulation des églises.

Maceo Ouitona
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Maceo Ouitona est journaliste et chargé de communication, passionné des enjeux politiques, économiques et culturels en Afrique. Il propose sur Afrik des analyses pointues et des articles approfondis mêlant rigueur journalistique et expertise digitale
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