
Le récent remaniement décidé par le Président Bassirou Diomaye Faye continue de secouer la scène politique sénégalaise. En confiant la direction de la conférence des leaders de la coalition « Diomaye Président » à l’ancienne Première ministre Aminata Touré, le chef de l’État a ouvert une brèche dans son propre camp. Une décision jugée par certains comme une affirmation d’autorité nécessaire, mais perçue par d’autres comme un signe inquiétant de tension avec le Premier ministre Ousmane Sonko.
A Dakar,
Dans les rues de Dakar, le débat est vif. Entre espoirs de stabilité et craintes de division, les Sénégalais s’interrogent sur la direction que prend la jeune alternance.
Diomaye Faye veut reprendre la main sur sa coalition
Pour Aïssatou Diallo, enseignante dans le secondaire, la nomination de Mimi Touré est « une tentative de reprendre la main sur une coalition qui s’essouffle ». Elle estime que Diomaye Faye cherche avant tout à « remettre de l’ordre dans une structure devenue trop dépendante de la personnalité d’Ousmane Sonko ». Selon elle, « le Président a voulu rappeler que le pouvoir exécutif repose sur lui, pas sur son Premier ministre. C’est une manière subtile de poser les bases d’une gouvernance plus institutionnelle et moins militante ».
Mais tous ne partagent pas cet optimisme. Cheikh Diop, chauffeur de taxi, se dit « déçu » par la tournure des événements. Pour lui, « le duo Sonko-Diomaye symbolisait l’unité et la rupture avec l’ancien système. Aujourd’hui, on voit des signes de division au sein du PASTEF qui rappellent les vieilles pratiques politiques ». Il redoute que « ces luttes internes finissent par détourner le gouvernement de ses priorités : la baisse du coût de la vie, la création d’emplois et la lutte contre la corruption ».
Mimi Touré, un choix d’expérience ou un calcul politique ?
Sur les réseaux sociaux, les réactions oscillent entre ironie et inquiétude. Beaucoup se demandent si cette « réorganisation » n’annonce pas un bras de fer plus profond entre les deux têtes de l’exécutif. Le débat dépasse désormais les cercles militants pour toucher l’ensemble de la société civile. Marième Kane, entrepreneure dans l’agroalimentaire, y voit au contraire « un signal positif ».
Elle estime que « le Président Faye a pris une décision courageuse ». Selon elle, « Mimi Touré a de l’expérience et une vraie connaissance de l’État. Si on veut que la coalition soit efficace, il faut des cadres qui maîtrisent les rouages administratifs, pas seulement des figures charismatiques ». Marième considère que la polémique actuelle « fait partie du processus de maturation politique » du pays : « On sort d’une phase militante, on entre dans une phase de gestion. C’est normal qu’il y ait des frictions ».
Une erreur stratégique selon certains observateurs
Cette lecture n’est pas partagée par tous. Moussa Sarr, étudiant à l’Université Cheikh Anta Diop, y voit « une grave faute politique ». Pour lui, « Diomaye Faye a voulu prouver qu’il est le vrai chef, mais il l’a fait au mauvais moment et de la mauvaise manière ». L’étudiant poursuit : « En écartant Aïda Mbodj sans concertation et en nommant Mimi Touré, il a donné l’image d’un Président qui agit seul, alors que tout son discours reposait sur la collégialité et la transparence. Cela affaiblit la confiance du peuple ».
Sur le terrain, les militants du Pastef, le parti d’Ousmane Sonko, semblent partagés entre loyauté gouvernementale et fidélité militante. Certains voient dans cette crise une opportunité de clarifier les rôles ; d’autres, un risque de rupture.
Les Sénégalais entre inquiétude et espoir d’unité
Awa Ndiaye, infirmière, observe la situation avec prudence. « J’ai voté pour Diomaye Faye parce que je croyais en sa sincérité et en son calme. Mais aujourd’hui, je sens une tension inutile entre lui et Sonko. Le pays a besoin d’unité, pas de rivalité. » Pour elle, « le peuple ne veut pas revivre les divisions du passé ». Elle espère que « les deux hommes vont s’asseoir, discuter et éviter de replonger le Sénégal dans des crises politiques à répétition ».
Dans les cercles politiques, certains interprètent le retour d’Aminata Touré comme un coup de maître stratégique. L’économiste et consultant Abdoulaye Ba estime que « le président prépare déjà le terrain pour 2029 ». Selon lui, « en confiant la coalition à Mimi Touré, il envoie un message clair : il veut s’émanciper de la tutelle symbolique de Sonko et asseoir sa propre légitimité politique. C’est un calcul à long terme ». Abdoulaye souligne toutefois que « ce type de repositionnement est risqué, car il peut être perçu comme une trahison par la base militante ».
Une rivalité au sommet de l’État sénégalais
Sur les plateaux de télévision, le débat s’enflamme. Les analystes évoquent une « dualité du pouvoir » entre la Présidence et la Primature. Pour beaucoup, cette tension rappelle les cohabitations sous d’autres régimes africains, où les ambitions présidentielles et les stratégies partisanes s’affrontent.
Fatou Mbaye, journaliste indépendante, analyse la séquence comme « le premier test de solidité du tandem Sonko-Diomaye ». « Depuis 2024, on a beaucoup parlé de leur complicité et de leur loyauté réciproque. Mais le pouvoir change les équilibres. Ce remaniement montre que Diomaye veut gouverner en homme d’État, pas en compagnon politique. La question est de savoir si Sonko acceptera cette évolution ».
Un tournant pour la jeune alternance
Selon Fatou Mbaye, « le Sénégal vit un moment charnière ». Le pays, encore marqué par les violences préélectorales de 2023 et la forte attente populaire autour du changement, « ne peut pas se permettre une guerre d’ego ». Elle insiste : « La population veut des résultats concrets, pas des querelles de leadership ».
Malgré la tempête médiatique, le président Diomaye Faye reste silencieux depuis l’annonce du 11 novembre. Ses proches affirment qu’il « n’y a aucune crise », mais les déclarations du Pastef rejetant la décision montrent bien que le malaise est réel. Dans les rues, les Sénégalais oscillent entre confiance et inquiétude.
Quel avenir pour la coalition Diomaye Président ?
Pour l’économiste Abdoulaye Ba, « tout dépendra de la capacité du président et du Premier ministre à transformer cette tension en dialogue ». Il conclut : « Si cette réorganisation permet de clarifier les responsabilités et de renforcer la gouvernance, elle sera bénéfique. Mais si elle se transforme en bras de fer, elle affaiblira durablement la coalition ».
Le Sénégal, souvent cité en exemple pour sa stabilité démocratique, observe donc avec attention cette nouvelle étape de sa vie politique. La nomination d’Aminata Touré à la tête de la coalition Diomaye Président dépasse la simple question d’organigramme : elle redessine les rapports de force au sommet de l’État.
« Définition du pouvoir dans le Sénégal nouveau »
Comme le résume Aïssatou Diallo, l’enseignante, « ce qui se joue aujourd’hui, ce n’est pas seulement un changement de poste, mais la définition du pouvoir dans le Sénégal nouveau. » Entre l’autorité présidentielle de Diomaye Faye, l’influence politique d’Ousmane Sonko et l’expérience institutionnelle de Mimi Touré, le pays entre dans une phase décisive.





