RDC-USA : controverse explosive autour des accords de Washington entre gouvernement et Église catholique


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Les membres de la CENCO
Les membres de la CENCO

Les accords stratégiques RDC-États-Unis, signés sous l’ère Trump, divisent profondément la société congolaise. Mgr Fulgence Muteba dénonce un « bradage » des ressources critiques, tandis que le gouvernement riposte en accusant l’Église de désinformation. Une fracture révélatrice sur la souveraineté et le développement national.

Par-delà la signature solennelle des accords de Washington, une fracture profonde traverse la société congolaise. Le partenariat stratégique conclu entre la RDC et les États-Unis, présenté par le gouvernement comme un levier majeur de transformation économique et de sécurisation des minerais critiques, est devenu en quelques jours le centre d’une violente controverse opposant l’exécutif à l’Église catholique, à travers son organe le plus influent : la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO).

La sortie très critique du président de la CENCO, Mgr Fulgence Muteba Mugalu, archevêque métropolitain de Lubumbashi, a provoqué une réaction tout aussi ferme du porte-parole du gouvernement congolais, Patrick Muyaya Katembwe. Au-delà d’un simple échange de déclarations, cette passe d’armes révèle un affrontement de visions sur la souveraineté, le développement et le positionnement géopolitique de la RDC dans un monde en recomposition.

Un partenariat stratégique à forte portée géoéconomique

Signé à Washington sous les auspices de l’administration Trump, l’accord de partenariat stratégique RDC–USA vise à encadrer et accélérer des projets jugés prioritaires pour l’industrialisation du pays. Il s’inscrit dans la dynamique globale de sécurisation des chaînes d’approvisionnement occidentales en minerais critiques – cobalt, cuivre, lithium, or – dans un contexte de rivalité stratégique croissante avec la Chine.

Le texte prévoit notamment :

  • l’identification, par la RDC, de projets stratégiques désignés (« DRC Designated Strategic Projects ») dans les 30 jours suivant l’entrée en vigueur de l’accord ;
  • la constitution d’une réserve d’actifs stratégiques (Strategic Asset Reserve « SAR ») regroupant des actifs miniers et zones d’exploration liés aux minerais critiques ;
  • un droit de première offre accordé aux États-Unis sur les projets relevant du SAR ;
  • la réhabilitation d’infrastructures structurantes, dont la ligne ferroviaire RDC-Angola dans le corridor Sakania-Lobito, axe clé pour l’exportation des minerais du Katanga.

Pour le gouvernement congolais, ce partenariat symbolise un regain de confiance internationale et une opportunité historique de transformation structurelle de l’économie nationale.

La charge de Mgr Muteba : « un bradage de l’avenir national »

C’est précisément cette lecture que conteste frontalement Mgr Fulgence Muteba. Dans son homélie de Noël, prononcée le 25 décembre 2025 à Lubumbashi, le prélat a livré un réquisitoire sévère contre ce qu’il qualifie de « fausse amitié » et de nouvelle forme de colonialisme économique.

Selon lui, le partenariat stratégique ne servirait pas le peuple congolais mais viserait avant tout à « sauver un régime », au prix d’un sacrifice du développement national et d’une hypothèque sur le bien-être des générations futures. L’archevêque s’est particulièrement alarmé d’un supposé accord d’exploitation sur 99 ans, qu’il présente comme une négation de toute justice intergénérationnelle.

« Comment peut-on hypothéquer l’avenir d’une nation pour 99 ans ? », s’est-il interrogé, allant jusqu’à craindre que la RDC ne devienne, après la guerre froide, un nouveau champ de bataille entre puissances occidentales et Chine. Dans cette lecture, le pays ne serait plus qu’un espace de projection des rivalités globales, où les Congolais paieraient le prix ultime.

S’appuyant sur les paroles du pape François lors de sa visite apostolique en RDC, Mgr Muteba a inscrit sa dénonciation dans une critique plus large du système économique mondial, accusé de perpétuer une logique de prédation sous couvert de coopération.

La riposte du gouvernement : « des contrevérités factuelles »

La réaction du gouvernement ne s’est pas fait attendre. Le 26 décembre, Patrick Muyaya Katembwe, ministre de la Communication et porte-parole de l’Exécutif, a vigoureusement réfuté les propos du président de la CENCO, les qualifiant de « factuellement faux ».

Selon lui, le texte signé ne comporte :

  • aucune durée de 99 ans ;
  • aucune cession de mines ;
  • aucun bradage des ressources naturelles ;
  • aucune atteinte à la souveraineté nationale.

Patrick Muyaya insiste sur le fait que l’accord se limite à fixer des principes de coopération, dans un cadre transparent, où l’État congolais conserve l’entière liberté d’accepter ou de refuser tout projet contraire à l’intérêt national. Il dénonce une manipulation de l’opinion, d’autant plus grave que le texte de l’accord a été rendu public et expliqué lors d’un briefing officiel.

Dans un registre inhabituel, le ministre convoque même une référence biblique – l’épître aux Éphésiens – pour appeler à la vérité et au rejet du mensonge, marquant ainsi la dimension morale et symbolique de la controverse.

Une controverse élargie au silence supposé sur l’est du pays

La réponse gouvernementale dépasse toutefois la seule question de l’accord. Patrick Muyaya reproche à Mgr Muteba de ne pas avoir, dans son homélie de Noël, condamné explicitement les violences attribuées aux forces rwandaises et à leurs supplétifs dans l’est de la RDC. Le porte-parole évoque notamment : l’attaque d’Uvira et le déplacement de plus de 500 000 personnes ; l’exploitation illicite du site minier de Rubaya ; la hausse spectaculaire des exportations de coltan du Rwanda au premier semestre 2025.

En creux, le gouvernement suggère une asymétrie morale dans le discours de l’Église, prompte à dénoncer les accords internationaux mais silencieuse sur certaines agressions extérieures.

Une fracture révélatrice d’un malaise national

Au-delà des invectives, cette passe d’armes met en lumière un malaise structurel : la défiance persistante d’une partie de la société congolaise envers les grands accords internationaux, nourrie par un lourd héritage de pillage des ressources, de contrats léonins et de promesses non tenues. L’Église catholique, forte de son rôle historique de contre-pouvoir moral, se pose une nouvelle fois en vigie critique face à l’État. Le gouvernement, lui, revendique la transparence et la rationalité technocratique, tout en peinant à dissiper totalement les soupçons d’opacité et de dépendance stratégique.

Le défi lancé par Patrick Muyaya à un débat public avec Mgr Muteba ouvre, peut-être, la voie à une clarification indispensable. Car au fond, la question centrale demeure : comment concilier attractivité géopolitique, souveraineté économique et justice sociale dans un pays aussi stratégique que vulnérable que la RDC ? Tant que cette équation ne sera pas résolue de manière crédible et inclusive, chaque accord international restera un terrain miné, où se joueront non seulement des intérêts économiques, mais aussi l’âme politique de la nation congolaise.

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Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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