RDC-Rwanda : l’accord de paix de Washington, entre promesse de stabilité et inquiétudes profondes


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Les ministres congolais et rwandais des Affaires étrangères autour de Donald Trump à la Maison blanche, après la signature de l'accord
Les ministres congolais et rwandais des Affaires étrangères autour de Donald Trump à la Maison blanche, après la signature de l'accord

Le 27 juin 2025, sous les auspices des États-Unis et avec la participation du Qatar, la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda ont signé à Washington un accord de paix présenté comme une avancée majeure dans les efforts pour mettre fin à près de trois décennies de conflit dans l’est congolais.

L’accord de paix signé entre la RDC et le Rwanda a été salué par une partie de la classe politique congolaise et plusieurs chefs d’État africains et occidentaux. Mais il suscite en parallèle des critiques acerbes de la société civile et d’intellectuels, qui y voient une forme de capitulation géopolitique et de compromission sur des questions fondamentales de souveraineté et de justice.

Une « victoire diplomatique » pour Kinshasa ?

Présenté par le Président Félix Tshisekedi comme une « promesse de paix pour [ses] compatriotes de Goma, Bukavu, Rutshuru, Lubero », l’accord repose sur deux piliers : la sécurité et l’économie. Il prévoit le désengagement progressif des troupes rwandaises, la neutralisation des groupes armés (y compris les FDLR), la création d’un mécanisme conjoint de coordination de la sécurité, ainsi que le retour des déplacés sous l’autorité du gouvernement congolais. Sur le plan économique, l’accord ouvre la voie à une coopération bilatérale renforcée, notamment dans les domaines de l’énergie, de la traçabilité des minerais et de l’intégration régionale.

Pour Vital Kamerhe, président de l’Assemblée nationale, cet accord constitue un « jalon majeur » dans la quête d’une réponse politique à la crise dans l’est. Germain Kambinga, président du regroupement « Le Centre », va plus loin : « Le Congo a gagné, mais l’opposition qui rêvait d’un renversement du pouvoir a perdu ».

Réactions régionales et internationales : entre soutien et vigilance

Le Président gabonais, Brice Clotaire Oligui Nguema, a salué une « victoire pour la paix, pour l’Afrique et pour les générations futures ». Son homologue français, Emmanuel Macron, a qualifié l’accord de « pas en avant historique », tandis que l’Ukrainien Volodymyr Zelenskyy a exprimé son espoir de voir d’autres régions du monde s’engager dans des processus similaires.

Dans un geste diplomatique fort, les conseillers communaux de RDC ont déposé un mémorandum à l’ambassade des États-Unis pour remercier Donald Trump de son implication dans ce processus de paix et appeler à sa visite à Kinshasa, tout en exhortant la population congolaise à « s’approprier l’accord et contrer toute tentative de manipulation ».

Des critiques virulentes : néocolonialisme, silence sur les victimes et légitimation du M23

Mais cette euphorie ne fait pas l’unanimité. Le professeur Dady Saleh, spécialisé dans les questions politiques, économiques et sécuritaires, dénonce une dynamique de « néocolonialisme économique », estimant que les États-Unis obtiennent un accès stratégique aux ressources congolaises, tandis que le Rwanda maintient son influence sur les chaînes d’approvisionnement minières.

Autre point d’achoppement : l’absence de référence aux victimes. Jonas Tshiombela, président de la Nouvelle société civile congolaise (NSCC), fustige un texte qui « ignore les millions de victimes des atrocités » dans l’est, sans prévoir de justice transitionnelle ni de mécanismes de réparation.

Le professeur Martin Ziakwau, spécialiste des dynamiques sécuritaires, met en garde contre une illusion de victoire. Selon lui, l’accord légitime de facto l’AFC/M23 comme interlocuteur, affaiblit les milices pro-gouvernementales Wazalendo et conforte le discours rwandais sur la neutralisation des FDLR. « La SADC est marginalisée, et aucune cadence claire de mise en œuvre n’est définie », observe-t-il.

Un équilibre fragile entre paix et souveraineté

L’accord de Washington repose sur une série d’équilibres délicats : protéger les civils sans abandonner les revendications souveraines ; ouvrir à la coopération économique sans céder au pillage des ressources ; restaurer la paix sans sacrifier la justice. Le Président Tshisekedi, dans son discours du 30 juin, a reconnu que « cette paix reste fragile » et qu’elle exige un engagement « indéfectible » de tous les acteurs.

Face à ces défis, plusieurs propositions émergent : opérationnalisation de la loi sur la réserve de défense, renforcement du programme DDRCS (Désarmement, Démobilisation, Relèvement Communautaire et Stabilisation), organisation d’un forum de réconciliation nationale, et lutte accrue contre la corruption.

Au total, l’accord RDC–Rwanda signé à Washington pourrait ouvrir un nouveau chapitre pour l’est du Congo, à condition que sa mise en œuvre soit rigoureuse, inclusive et respectueuse des droits fondamentaux des victimes. Si Kinshasa parvient à combiner fermeté diplomatique, engagement communautaire et coordination régionale, la promesse d’une paix durable pourrait enfin se concrétiser.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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