Îles Éparses : l’or bleu au cœur d’une bataille géopolitique entre la France et Madagascar


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îles Eparses (DR)
îles Éparses

Ce jour marque un tournant dans le contentieux franco-malgache autour des Îles Éparses, ces îlots inhabités du canal du Mozambique riches en ressources marines et énergétiques. Alors que Paris prône une cogestion, Antananarivo réclame leur restitution complète, s’appuyant sur des arguments historiques et juridiques. Au cœur de cette dispute : la souveraineté, les intérêts économiques liés à l’« or bleu » et une mémoire coloniale toujours vive. Une nouvelle réunion bilatérale s’ouvre dans un climat tendu, sous la pression continue de la société civile malgache.

Ce 30 juin 2025, la tension diplomatique entre Paris et Antananarivo connaît un nouveau chapitre. Pour la deuxième fois depuis 2019, la France et Madagascar se réunissent dans le cadre d’une commission mixte destinée à discuter du sort des Îles Éparses, ces minuscules confettis de terre disséminés dans le canal du Mozambique. Longtemps relégué aux marges des priorités diplomatiques, ce contentieux territorial latent revient aujourd’hui sur le devant de la scène internationale, attisé par les enjeux environnementaux, économiques et géostratégiques que ces îles représentent.

Des îlots inhabités mais hautement convoités

Les Îles Éparses, Europa, Juan de Nova, Bassas da India et les Glorieuses, sont administrées par la France depuis les années 1960, dans le cadre des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Toutefois, Antananarivo les considère comme partie intégrante de son territoire national, estimant qu’elles ont été illégalement séparées de Madagascar au moment de son indépendance.

Ces terres émergées ne sont habitées que par quelques scientifiques ou militaires, mais leur intérêt est loin d’être négligeable. En effet, les zones économiques exclusives (ZEE) qui leur sont rattachées permettent à la France de revendiquer environ 640 000 km² dans le canal du Mozambique. Un espace stratégique qui regorge de ressources halieutiques et de potentielles réserves de gaz et de pétrole encore peu explorées.

Une position française inébranlable, une délégation malgache déterminée

Lors de sa visite d’État à Madagascar en avril 2025, Emmanuel Macron a exclu toute idée de restitution pure et simple de ces territoires. Le Président français s’est dit favorable à une cogestion franco-malgache, une option perçue par Antananarivo comme une solution de compromis inacceptable. Pour les autorités malgaches, cette proposition maintient la France dans une position dominante, alors que les résolutions de l’ONU de 1979 et 1980 demandaient déjà une réintégration pure et simple des îles à Madagascar.

La délégation malgache, conduite par la ministre des Affaires étrangères, Rafaravavitafika Rasata, compte dans ses rangs des juristes, diplomates et experts en relations internationales. Parmi eux : l’ambassadeur Djacoba Oliva Tehindrazanarivelo, la juriste Lalatiana Rakotondrazafy et le ministre de la Pêche, Paubert Mahatante. Leur mission : démontrer la légitimité juridique, historique et environnementale de la revendication malgache.

Une mobilisation citoyenne massive

Selon un compte-rendu du Conseil des ministres du 18 juin, un comité scientifique accompagne cette délégation pour élaborer des arguments techniques étayés. L’objectif est clair : faire entendre la voix de Madagascar dans un dossier que beaucoup dans le pays qualifient d’injustement gelé depuis des décennies. La question des Îles Éparses ne mobilise pas que les élites politiques. À la veille de la réunion, plus de 800 organisations de la société civile malgache ont publié un communiqué commun exigeant la reconnaissance immédiate de la souveraineté de Madagascar sur ces îles. Parmi elles, des ONG majeures comme Transparency International Initiative Madagascar ou encore l’Alliance Voahary Gasy.

Corinne Huynh Rahoeliarisoa, coordinatrice de la Coalition nationale de plaidoyer environnemental, résume le sentiment général : « Il est légitime que ces îles appartiennent à Madagascar. Nous dénonçons la persistance d’une administration française sur ces Nosy Malagasy, une anomalie historique qui symbolise une continuité coloniale ». Cette mobilisation traduit un ressentiment profond dans l’opinion publique malgache. Les îles ne sont pas perçues seulement comme des territoires, mais comme un symbole de souveraineté nationale bafouée.

Au cœur de la discorde : l’« or bleu »

Derrière cette bataille diplomatique se cachent des enjeux économiques majeurs. Les ZEE associées aux Îles Éparses abritent d’immenses ressources halieutiques, notamment le thon, un secteur clé pour l’économie malgache. À cela s’ajoutent des potentiels gisements d’hydrocarbures dans le sous-sol marin, qui attisent les convoitises.

Pour la France, la possession de ces îles lui permet d’affirmer sa présence stratégique dans l’océan Indien. Pour Madagascar, il s’agit de recouvrer une richesse nationale accaparée, et de développer un pilier crucial de son avenir économique, souvent qualifié d’économie bleue. Malgré les appels au dialogue constructif lancés par le Président malgache Andry Rajoelina, le fossé entre les deux pays reste profond. La France, campant sur une position de contrôle et Madagascar, réclamant une restitution totale, semblent engagés dans une négociation asymétrique.

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Une plume qui balance entre le Sénégal et le Mali, deux voisins en Afrique de l’Ouest qui ont des liens économiques étroits
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