RDC : le ralliement de Daniel Safu à l’AFC/M23 accentue la pression sur Kinshasa après la chute d’Uvira


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Daniel Safu, ancien député national de la RDC
Daniel Safu, ancien député national de la RDC

Dans un contexte de forte tension sécuritaire et politique en République démocratique du Congo, l’ancien député national, Daniel Safu Butupe, figure populaire de la scène politique kinoise, a annoncé ce jeudi 11 décembre 2025 son ralliement officiel à l’Alliance Fleuve Congo/M23 (AFC/M23). Une décision qui intervient au lendemain de la prise d’Uvira par le mouvement rebelle et qui résonne comme un nouveau coup dur pour le pouvoir central de Félix Tshisekedi.

Ces derniers jours, les succès du groupe rebelle M23 dans l’est de la RDC dépassent le seul cadre des opérations sur le terrain. Le groupe vient d’enregistrer l’adhésion d’un ancien député national, Daniel Safu Butupe.

Un ralliement inattendu mais lourd de symboles

Dans une interview accordée à Actualite.cd, Daniel Safu, ancien élu de Kinshasa sur la liste du parti Ensemble pour la République de Moïse Katumbi, affirme avoir rejoint l’AFC/M23 par « devoir de protéger les populations abandonnées par Kinshasa ».

Selon lui, le gouvernement a failli dans sa mission de sécuriser le pays, en particulier les provinces du Nord et du Sud-Kivu où les violences armées persistent malgré les multiples initiatives diplomatiques. Daniel Safu justifie également son choix par « la nécessité de mettre fin à l’insécurité et aux exactions » que subissent les civils pris entre les lignes de front.

Cet ancien proche de la coalition Lamuka, connu pour son verbe acerbe contre les institutions et la corruption, avait vécu un parcours politique mouvementé, notamment son invalidation par la Cour constitutionnelle avant de retrouver son siège après une longue bataille judiciaire. Son basculement dans le camp rebelle marque une rupture majeure dans son engagement public.

Un ralliement qui intervient dans un moment critique : Uvira sous contrôle de l’AFC/M23

L’annonce intervient alors que la situation dans l’est du pays vient de franchir un nouveau seuil de gravité.  Depuis le 10 décembre 2025, la ville stratégique d’Uvira, deuxième centre urbain du Sud-Kivu, est passée sous contrôle total de l’AFC/M23.

La chute de la ville, intervenue sans affrontements, a provoqué un choc politique à Kinshasa :

  • plus de 200 000 nouveaux déplacés,
  • des infrastructures civiles détruites,
  • des tirs d’artillerie ayant franchi la frontière burundaise,
  • et un risque croissant d’embrasement régional.

Face à cette situation, la majorité présidentielle dénonce un acte d’“agression rwandaise” et appelle à une marche nationale le 19 décembre. L’opposition, de son côté, reste pour l’instant silencieuse. C’est dans cette atmosphère d’effondrement sécuritaire et de montée des critiques contre Kinshasa que Daniel Safu a choisi d’annoncer son ralliement.

Un revers politique pour Kinshasa et un succès stratégique pour l’AFC/M23

Le ralliement d’un ancien député national, très médiatisé et suivi sur les réseaux sociaux, constitue un gain politique majeur pour l’AFC/M23. Le mouvement cherche depuis plusieurs mois à se légitimer politiquement, à mesure qu’il étend son contrôle territorial. Il s’efforce d’attirer des élus locaux, provinciaux et nationaux afin de présenter son projet comme une alternative politique et non plus seulement une rébellion armée. Après la prise de Bukavu début 2025 et celle d’Uvira cette semaine, le mouvement tente de bâtir une administration parallèle, stratégie condamnée ce jeudi par l’Union africaine.

Dans ce contexte, l’arrivée de Daniel Safu offre au mouvement une figure nationale, suffisamment connue pour donner une résonance politique à ses ambitions d’expansion au-delà des zones qu’il contrôle militairement.

Pour Kinshasa, ce ralliement passe pour un camouflet, au moment où le gouvernement tente d’afficher l’unité nationale. Pis, il constitue un signal inquiétant montrant que des personnalités politiques du pays pourraient être tentées de basculer vers le mouvement rebelle. Enfin, il constitue un révélateur du malaise profond autour de la gestion de la crise sécuritaire.

Une radicalisation nourrie par l’effondrement sécuritaire

Le choix de Daniel Safu s’inscrit dans une dynamique plus large : la crise de confiance entre une partie de la classe politique congolaise et l’exécutif face à l’avancée continue du M23. La prise d’Uvira, ville désignée par Kinshasa comme siège provisoire des institutions provinciales depuis la chute de Bukavu, a symbolisé pour beaucoup l’échec de la stratégie militaire et diplomatique du gouvernement.

Dans ce climat de désillusion et de colère : des élus locaux dénoncent l’abandon des populations pendant que des organisations de la société civile pointent la faiblesse du moral des FARDC, et certains acteurs politiques, comme Daniel Safu, franchissent désormais la ligne rouge.

Que signifie ce ralliement pour la suite du conflit ?

Si le geste de Daniel Safu ne change pas immédiatement le rapport des forces militaires, il marque un tournant dans la bataille politique autour de l’AFC/M23 et de son projet de reconfigurer le pouvoir dans l’est de la RDC.

Trois éléments se dégagent : d’abord, le mouvement rebelle gagne en visibilité politique, pénétrant désormais la sphère nationale. Ensuite, le gouvernement subit une déstabilisation interne, alors même qu’il est confronté à l’une des pires crises sécuritaires depuis la rébellion du CNDP dans les années 2000. Enfin, le risque de fragmentation politique augmente, surtout si d’autres élus ou cadres, frustrés ou marginalisés, choisissent d’emboîter le pas à l’ancien député national.

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Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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