RDC, crise à l’est : Denis Mukwege dénonce « la façade » des cessez-le-feu et met en garde contre la balkanisation


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Denis Mukwege
Denis Mukwege

Les récentes attaques attribuées à la rébellion de l’AFC/M23, soutenue par le Rwanda, viennent brutalement rappeler la fragilité du processus de paix engagé entre Kinshasa et Kigali. Le Prix Nobel de la paix Denis Mukwege, figure internationale de la défense des droits humains, a fustigé, ce dimanche, les « illusions » entretenues par les cessez-le-feu de Washington et de Doha, alors que sur le terrain, les combats s’intensifient et les pertes civiles s’alourdissent.

Le Prix Nobel de la paix, Denis Mukwege, a exprimé son indignation et sa profonde colère à la suite des nouvelles exactions attribuées à la rébellion de l’AFC/M23, soutenue par le Rwanda, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Ce coup de gueule intervient peu après la publication d’un nouveau rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) sur les massacres à l’est du pays.

Des massacres qui fragilise les pourparlers

Selon un rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), au moins 319 civils – dont 48 femmes et 19 enfants – ont été tués entre le 9 et le 21 juillet dans quatre villages du territoire de Rutshuru (Nord-Kivu). Ces crimes, imputés au M23 et aux Forces de défense rwandaises, marquent une nouvelle escalade du conflit.

« Horrifié par le récent rapport d’enquête des Nations unies documentant le massacre de 319 civils (…) par des éléments du M23 et des Forces de défense rwandaises, cet acte reflète une nouvelle fois la barbarie à laquelle le peuple congolais est confronté depuis trois décennies », a laissé entendre le gynécologue. Pour lui, ce massacre démontre l’écart entre les promesses diplomatiques et la réalité du terrain.

Washington et Doha : accords ou écrans de fumée ?

L’Accord de Washington (27 juin 2025), signé entre la RDC et le Rwanda sous médiation américaine, et la Déclaration de principes de Doha entre Kinshasa et le M23, avaient été présentés comme des jalons vers un règlement global. Ces textes prévoyaient des mesures de confiance, un calendrier de négociations, et un cessez-le-feu immédiat.

Mais pour Denis Mukwege, ces dispositifs n’ont servi qu’à « endormir la vigilance internationale » et à offrir un répit stratégique aux forces rebelles. Son constat est sévère : « Kinshasa s’obstine dans une série de tâtonnements sans fin, semblant incapable d’appréhender la mesure de l’enjeu. Personne ne viendra sauver le Congo à notre place ». Et le médecin de poser une question grave : « Combien de Congolais devront encore être sacrifiés pour que la classe politique prenne conscience et transcende les intérêts partisans ? »

Les blocages du processus de paix

Alors que les discussions devaient reprendre début août pour aboutir à un accord final le 17 août, les affrontements se déplacent désormais vers le Sud-Kivu, notamment dans les territoires de Walungu et Mwenga. Cette extension géographique du conflit met en lumière la capacité du M23 à contourner les engagements signés, tout en renforçant ses positions.

Près d’un mois après Doha, la mise en œuvre des mesures de confiance est au point mort. Les engagements réciproques – retrait des troupes, ouverture de couloirs humanitaires, arrêt des offensives – restent lettre morte. Dans les faits, la progression militaire du M23 rend même l’idée d’un cessez-le-feu durable de plus en plus hypothétique.

D’un point de vue diplomatique, la situation révèle un double dilemme :

  • Pour Kinshasa : la difficulté à maintenir un équilibre entre négociation politique et pression militaire, tout en gérant les divisions internes au sein de la classe politique.
  • Pour la communauté internationale : la nécessité de concilier médiation et fermeté face à Kigali, accusé de soutenir activement le M23.

L’avertissement de Denis Mukwege

Pour Denis Mukwege, la persistance de l’inaction, couplée à l’expansion territoriale des rebelles, pourrait conduire à ce qu’il qualifie de « projet d’extermination » et de « balkanisation » du pays. Il appelle la classe politique congolaise à transcender ses clivages et à « se dresser en rempart » contre cette menace. Au-delà de l’émotion, son intervention est aussi une mise en garde stratégique : tant que les cessez-le-feu ne seront pas assortis de mécanismes contraignants et de garanties effectives, ils resteront des « accords de papier » sans impact réel sur le terrain.

Avant Denis Mukwege, d’autres voix dont celle du cardinal Fridolin Ambongo s’étaient élevées contre ces accords signés. Le prélat, reconnu pour son franc-parler, avait, au début du mois de juillet, vertement critiqué l’accord de Washington. C’était à l’occasion d’une conférence de presse au Vatican en marge de la présentation du document préparatoire des églises d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine en vue de la COP30.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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