Procès Sankara : Compaoré « s’est servi des frustrations de certains camarades pour réaliser son complot »


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Blaise Compaoré, ancien Président du Faso
Blaise Compaoré, ancien Président du Faso

Le procès de l’assassinat du capitaine Thomas Sankara entre dans une nouvelle phase. L’audition des témoins a débuté ce mardi 16 novembre.

Au cours de l’audience du procès de l’assassinat du capitaine Thomas Sankara ce mardi 16 novembre, il n’a pas fallu plus de trente minutes pour que le passage à la barre de l’accusé Diakalia Démé, entamé hier, prenne fin avec l’intervention de son avocat, Me Olivier Somé. Quant à l’accusé Tibo Ouédraogo, il n’était pas présent puisqu’en repos médical. L’interrogatoire des accusés a donc laissé place à l’audition des témoins.

Et le premier à être invité à la barre est le colonel-major Daouda Traoré. À l’époque des faits, ce membre de la Commission de contrôle et vérification, une structure du Conseil national de la révolution (CNR) avait le grade de lieutenant. Sa version des faits ne souffre d’aucune ambiguïté quant au rôle joué par les principaux accusés, à savoir Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré dans le massacre du 15 octobre 1987.

Le complot de Blaise Compaoré

Le témoignage du colonel-major Daouda Traoré ne laisse aucun doute sur la responsabilité de Blaise Compaoré dans l’assassinat de son ami intime, Thomas Sankara. « Je ne pense pas qu’il y avait un problème entre Sankara et Compaoré ; je pense plutôt que c’est Blaise Compaoré qui avait des problèmes avec Sankara et avec la révolution. Blaise s’est servi des frustrations de certains camarades pour réaliser son complot ».

Voilà qui est clair selon ce militaire qui raconte qu’il s’apprêtait à rejoindre le nouveau poste auquel il avait été affecté à Fada N’Gourma, le jeudi 15 octobre 1987, quand le drame s’est produit. Il avait décidé de rejoindre le poste après la tenue d’une réunion –le 12 ou le 13 octobre– entre la Commission de contrôle et vérification et Blaise Compaoré ; cette réunion était consacrée à la question des rumeurs persistantes faisant état de tensions entre le numéro 1 et le numéro 2 de la révolution burkinabè.

Au cours de ladite réunion, Blaise Compaoré a rassuré la Commission que rien ne se tramait et qu’il ne prendrait « même pas une brindille contre Sankara ». Il avait même promis aux membres de la Commission de prendre publiquement la parole, le 15 octobre pour « démentir les rumeurs et réaffirmer sa fidélité au chef de l’État, Thomas Sankara ».
Daouda Traoré devait donc se rendre à Fada N’Gourma, rassuré qu’il n’y avait aucun problème entre les principaux responsables de la révolution.

Mais, des impondérables ont modifié son programme initial, le contraignant à ne pouvoir se rendre au Conseil de l’entente pour prendre du carburant que vers 16 h. À ce moment, il entend des coups de feu à l’intérieur du Conseil. Résolu à s’y rendre, il envoie son garde du corps annoncer son arrivée. Ce dernier est rapidement maîtrisé par les assaillants ; Daouda Traoré lui-même échappe de justesse à une rafale.

Plus tard dans la nuit, il put avoir en ligne le lieutenant Omar Traoré qui avait lu un communiqué qui traitait Sankara de tous les noms d’oiseaux. Quand il pose la question de savoir où était Thomas Sankara, Omar Traoré lui répond : « Ne quitte pas, je te passe Diendéré. Et Diendéré de répondre, ne quitte pas, je te passe Lingani. Lui aussi dira la même chose. Ne quitte pas, je te passe Blaise Compaoré ». Et c’est ce dernier qui lui annonce la mort du Président, avançant qu’ils ont aussi perdu des hommes.

Le lendemain, Blaise Compaoré interdit à Daouda Traoré de se rendre à son nouveau poste. Plus tard, le colonel-major comprendra qu’un guet-apens lui était tendu à Fada N’Gourma. La tentative de Blaise Compaoré de rallier Daouda Traoré à sa cause rencontre un refus catégorique qui vaut à ce dernier emprisonnement et radiation de l’armée. C’est en 1988 qu’il va recouvrer la liberté.

Au sujet de Thomas Sankara, le témoin a confié à la barre, ce mardi : « Lorsqu’on abordait cette question (tension entre les deux, ndlr), il (Sankara, ndlr) se fermait. J’avais l’impression qu’il ne voulait pas livrer Blaise ». Et Daouda Traoré de poursuivre : « Thomas Sankara était très juste, loyal, dynamique. On peut ne pas être d’accord avec lui, mais son argumentaire est imparable. Il avait la rigueur et la morale révolutionnaire ».

Insistant sur la grande rigueur de Thomas Sankara, le colonel-major à la retraite relève la principale faiblesse du père de la révolution burkinabè : « Sankara, sa plus grosse faiblesse, là où il n’appliquait pas sa rigueur, c’était Blaise Compaoré ». Et cette faiblesse lui fut fatale.

La passivité active du chef de la sécurité du Conseil de l’entente

« Ceux qui ont tué étaient venus pour tuer et non pour arrêter », a déclaré le colonel-major Daouda Traoré. Puis, il fait une déclaration qui, sans citer le nom de Gilbert Diendéré, accuse directement ce dernier, en sa qualité de premier responsable de la sécurité du hautement sécurisé Conseil de l’entente.

« Je pense qu’incontrôlés que soient les éléments qui l’ont fait, ils ne sont pas bêtes pour rentrer dans une caserne, tuer le Président et ressortir vivant. Je suis surpris qu’on ait agi au sein du Conseil en toute impunité. Si j’avais le commandement du Conseil, ils pouvaient entrer et arriver à tuer, mais ils ne ressortiraient pas vivants ». Parole de militaire !

Gilbert Diendéré trouvera-t-il des arguments assez solides pour soutenir sa position ? Lui qui a laissé filer des militaires venus assassiner un Président en exercice, dans un endroit qu’il était censé sécuriser ? Et qui a tout nié au cours de son audition de trois jours ? Lui qui visiblement a tout gagné avec le régime de Blaise Compaoré, selon le parquet et la partie civile ? Lui qui était avec Blaise Compaoré au soir de la tuerie, d’après le témoignage de Daouda Traoré et ses propres propos ?

Après la vague de dénégations systématiques des faits de ces précédents jours, la suite du procès promet sans doute de belles surprises à ceux qui sont à la quête de la justice pour le père de la révolution burkinabè et ses compagnons assassinés. D’ailleurs, le premier témoin a déjà contredit sur certains points Jean-Pierre Palm qui avait déclaré, par exemple, à la barre avoir été appelé au Conseil de l’entente au lendemain du coup d’État, comme tous les autres officiers. Daouda Traoré soutient n’avoir jamais été appelé bien qu’étant officier.

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Historien, Journaliste, spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne
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