
À deux mois de l’élection présidentielle prévue le 25 octobre 2025 en Côte d’Ivoire, la scène politique ivoirienne est secouée par un rebondissement de taille. Malgré leur radiation de la liste électorale, deux figures majeures de l’opposition, l’ancien président Laurent Gbagbo et Cheikh Tidjane Thiam, candidat du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), ont officiellement déposé leur candidature auprès de la Commission électorale indépendante (CEI). Ce geste, à la fois symbolique et stratégique, cache mal les tensions persistantes entre légalité électorale, légitimité politique et volonté populaire dans un pays encore marqué par les crises du passé.
Une candidature en défiance
Lundi soir, une délégation du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), conduite par son président exécutif Sébastien Dano Djédjé, a déposé au siège de la CEI à Cocody le dossier de candidature de Laurent Gbagbo. La veille, c’était au tour de la délégation du PDCI-RDA, accompagnée de plusieurs partis alliés, de remettre celui de Tidjane Thiam. Si les deux candidatures ont été acceptées en dépôt, elles se heurtent à un obstacle de taille : leur radiation de la liste électorale.
Or, selon l’article 55 du code électoral ivoirien, l’inscription sur cette liste est une condition sine qua non pour être éligible à la Présidence. Comment alors expliquer ces dépôts de candidature, apparemment voués au rejet ? Pour les partisans des deux hommes, il s’agit avant tout d’un acte de résistance politique, destiné à contester une exclusion jugée arbitraire, et à maintenir une pression sur les institutions.
Les cas Gbagbo et Thiam : deux trajectoires, un même verrou juridique
Laurent Gbagbo a été radié en raison de sa condamnation à vingt ans de prison dans l’affaire du braquage de l’agence d’Abidjan de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) en 2011, pendant la crise post-électorale. Une condamnation controversée, puisque Gbagbo a été acquitté en 2021 par la Cour pénale internationale (CPI) des charges de crimes contre l’humanité, mais qui reste en vigueur au niveau national. Le leader du PPA-CI et ses partisans dénoncent une justice à double vitesse, et une volonté manifeste de l’écarter du jeu politique.
Cheikh Tidjane Thiam, de son côté, fait face à une situation juridique plus compliquée. Ancien directeur général du Crédit Suisse et figure montante du PDCI, Thiam détenait la nationalité française depuis 1987. Il y a officiellement renoncé en mars 2025 pour se conformer aux exigences du code électoral ivoirien, qui stipule que le candidat à la Présidentielle doit être uniquement de nationalité ivoirienne. Toutefois, cette renonciation est intervenue après la clôture de la révision de la liste électorale, en novembre 2024. Il n’a donc pas pu y être réintégré, une faille administrative que ses soutiens qualifient d’injustice, voire de sabotage politique.
Un climat démocratique sous tension
La CEI, quant à elle, reste fidèle à sa posture institutionnelle. Elle a confirmé que la liste électorale définitive comprenait 8 727 431 électeurs, en hausse de près de 9% par rapport à 2020. Elle a également annoncé l’augmentation du nombre de centres et bureaux de vote. Ces chiffres témoignent d’un effort d’organisation logistique considérable. Mais ces avancées techniques ne sauraient occulter la crise de confiance qui entoure le processus électoral.
En effet, la radiation des principaux opposants, dont Guillaume Soro et Charles Blé Goudé en plus de Gbagbo et Thiam, alimente un climat de suspicion. Nombre d’observateurs redoutent que le scrutin d’octobre soit perçu comme verrouillé, sans véritable compétition, et donc sans légitimité. La démocratie ivoirienne risque alors de basculer dans une impasse, où l’exclusion politique mène à la radicalisation.
Résistance pacifique ou provocation calculée ?
La stratégie de Gbagbo et Thiam peut être analysée comme une forme de désobéissance civile institutionnelle. En déposant leur candidature malgré leur radiation, ils remettent en cause la légitimité des décisions judiciaires qui les écartent. Mais ils prennent aussi le risque d’être accusés de défier l’État de droit.
Pour leurs partisans, il s’agit au contraire d’un combat pour la restauration des droits civiques. « Le PPA-CI s’inscrit dans une démarche démocratique », a déclaré Dano Djédjé. De son côté, Alain Cocauthrey, représentant de Thiam, évoque un projet de réconciliation nationale fondé sur la paix et l’ouverture. Le message est sans ambiguïté aucune : ces leaders veulent incarner l’alternative, même en dehors du cadre institutionnel établi.
Une épreuve pour la démocratie ivoirienne
Le sort réservé aux candidatures de Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam sera un test grandeur nature pour la démocratie ivoirienne. Leur exclusion définitive risque de raviver des tensions déjà palpables, notamment dans les fiefs de leurs partis respectifs. Inversement, une réintégration, peu probable sans décision de justice ou réforme du code électoral, créerait un précédent juridique délicat.
Quoi qu’il en soit, le défi lancé par ces deux figures à l’ordre électoral actuel révèle l’ampleur des fractures politiques en Côte d’Ivoire. À moins de deux mois du scrutin, le pays est à la croisée des chemins. L’inclusivité, la transparence et le respect des droits fondamentaux, piliers de la stabilité à venir, semble faire défaut. Dès lors, la présidentielle de 2025 pourrait laisser un goût amer à une nation en quête de réconciliation durable.