
Ce 3 octobre 2025 restera une date charnière dans l’histoire politique du Tchad : députés et sénateurs réunis en congrès ont adopté une révision constitutionnelle majeure, ouvrant la voie à un prolongement du mandat présidentiel de cinq à sept ans, renouvelable sans limite. Une étape décisive qui confirme la mutation du pouvoir entre les mains de Mahamat Idriss Déby, fils et successeur d’Idriss Déby, vers une présidence potentiellement à vie.
La nouvelle Constitution, adoptée en 2023 par référendum, avait déjà été largement critiquée pour ses dispositions taillées sur mesure. En supprimant notamment les garde-fous encadrant la rééligibilité du Président, avec l’élimination du mot « consécutif » dans les articles permettant la limitation des mandats, elle avait déjà indigné l’opposition et nombre d’observateurs, qui avaient dénoncé un verdissement juridique d’une présidence à vie.
Une révolution institutionnelle au service du pouvoir
Mais la révision récemment votée franchit un cap encore plus irréversible : le mandat s’allonge, la limite des mandats disparaît, et les pouvoirs présidentiels sont renforcés. Lors du vote à l’Assemblée nationale, le texte a été adopté par 171 voix pour, une abstention et aucun vote contre. Le sénat est désormais appelé à confirmer cette réforme le 13 octobre, date à laquelle le texte doit devenir définitivement loi. Ainsi se consolide une trajectoire : celle d’un pouvoir centré sur un homme, affranchi des contraintes constitutionnelles, et sécurisé par la domination de l’appareil législatif.
Depuis la mort d’Idriss Déby au front en 2021, Mahamat Idriss Déby a suivi un parcours méthodique de consolidation de pouvoir. D’abord installé à la tête d’une junte militaire, il a ainsi prolongé la transition, puis conduit une élection présidentielle en mai 2024 où il a été déclaré vainqueur avec plus de 60% des voix, dans un contexte de faible participation et de critiques autour de la transparence du scrutin. Avec la fin officielle de la transition, Mahamat a prêté serment devant l’Assemblée.
Du général à l’élu : légitimation contestée
le dirigeant s’est posé comme le nouveau visage de la continuité politique, tout en lançant un discours prometteur : lutte contre la corruption, investissements sociaux, modernisation de l’état. Mais dans la pratique, l’emprise du Mouvement patriotique du salut (MPS) sur le parlement et les institutions lui a offert un avantage disproportionné : lors des législatives de décembre 2024, le MPS a obtenu 124 des 188 sièges, dans un contexte de boycott d’une partie de l’opposition.
Le choix de déclencher la révision constitutionnelle au moment où le parlement est totalement acquis au pouvoir relève d’une stratégie bien rodée : instituée par les députés, relayée dans les médias, validée par les sénateurs, et promulguée par le Président, cette réforme scelle le nouveau socle d’un pouvoir quasi-absolu. Cette mutation institutionnelle ne saurait se limiter à un simple jeu de chaises législatives. Elle dessine un scénario politique à long terme, dans lequel l’alternance démocratique devient improbable.
Le piège de l’éternité : risques et résistances
Les critiques dénoncent déjà une dérive autoritaire, une normalisation du pouvoir personnel, et une réduction drastique de l’espace politique. L’état des libertés publiques demeure un point noir : l’opposant principal Succès Masra, ancien Premier ministre de transition, a été condamné à vingt ans de prison pour « incitation à la violence » et diffusion de « messages haineux ». D’autres figures de l’opposition ou de la dissidence sont réduites à l’exil, muselées, ou interdites de retour. Sur le plan régional, la stabilité du Tchad reste fragile.
Le conflit soudanais, limitrophe, menace de débordement sur le territoire tchadien, posant des défis sécuritaires et migratoires d’envergure. Le retrait de l’accord de défense avec la France, acté récemment par N’Djamena, marque un réajustement des alliances internationales. Si Mahamat Déby mise sur la continuité de l’appareil d’État de son père, militarisation, réseau de fidélités, contrôle des médias, il lui faudra aussi composer avec des réseaux dissidents, des clans internes au Zaghawa (ethnie dominante) et des marges de contestation sociale croissante : chômage, pauvreté, désillusion.
Vers une Présidence à vie ?
Le 3 octobre 2025 n’est pas seulement une révision constitutionnelle : c’est l’officialisation d’un tournant vers la présidentialisation à vie. En adoptant formellement une durée de mandat allongée et une absence de limite, le régime Déby verrouille les conditions de perpétuation de sa domination. Le fils succède au père, non pas par un héritage dynastique légal mais par un enchaînement institutionnel soigneusement orchestré. La démocratie tchadienne est aujourd’hui soumise à un dilemme : rester fidèle à ses principes d’alternance ou ployer devant la loi du pouvoir.
Face à cette mutation, la communauté internationale, les organisations de défense des droits humains, les acteurs politiques africains auront à observer, critiquer, voire exercer des pressions pour rappeler que la légitimité ne se décrète pas, elle se conquiert. Le temps dira si le Tchad, sous Mahamat Déby, rompt avec l’ère Déby père, ou en érige une version encore plus rigide.