Port du voile : imposé, interdit, libre


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Le gouvernement Erdogan envisage de rétablir la liberté du port du voile, dans les institutions publiques. Il mettrait, ainsi, fin à la prohibition décrétée par les militaires, à l’issue du coup d’Etat de 1980.

Les législatives de juin 2011 pourraient même voir une députée voilée, siéger à l’Assemblée. C’est du moins une hypothèse que n’exclut pas le Premier ministre, qui souligne qu’ « en politique, tout est possible. »

En Turquie comme en Iran, le dévoilement des musulmanes avait été imposé au début du siècle dernier, par un Atatürk et un Réza Chah, qui y voyaient un signe de modernisation. En Tunisie, Habib Bourguiba institue, dès 1957, l’égalité entre les hommes et les femmes et interdit le port du voile, au sein de l’administration publique. A la même époque, dans le Maroc nouvellement indépendant, le roi Mohammed V pose sa fille en symbole de la libération de la femme, en lui demandant de renoncer au voile, publiquement. Ces mesures, et les idées qui les sous-tendent, remontent à la fin du 19e siècle. Dans l’Egypte ottomane, le khédive réformiste Ismaïl Pacha fonde en 1873, la première école de jeunes filles. Le Caire verra, ainsi, les premières musulmanes abandonner le voile.

Mais c’est surtout l’œuvre du penseur égyptien Qasim Amin (1865-1908) qui sera déterminante. Fortement influencé par les interprétations libérales du shaykh Mohammed Abduh, il dénonce dans son De l’émancipation de la femme, les méfaits du voile qu’il considère comme une « forme de servitude ». Pour autant, il n’en demande pas la suppression totale. Il dénonce plutôt l’écart qui existe entre, d’une part, l’usage du voile tel qu’il est couramment pratiqué et, d’autre part, les strictes exigences de la religion. Juriste, il démontre que les trois versets (XXIV/30-31 et XXXIII/59), ainsi que le hadith, invoqués par les traditionnalistes, ne peuvent avoir une valeur prescriptive, et donc justifier l’obligation de porter un voile, qu’il soit partiel (haïk, sefsari, khimar, tchador, hijab, kichali, tudung, ibadou) ou intégral (niqab, burqa, tchadri). Ses arguments sont peu ou prou ceux des libéraux contemporains : les versets en question ont été révélés pour remédier à des situations spécifiques ; le hadith invoqué est faible (dha‘îf) ; aucune des sept occurrences du mot hijâb, dans le Coran, ne réfère à un vêtement féminin ; enfin, si prescription il y a, elle devrait être assortie d’une sanction, ce qui n’est le cas, ni dans le Coran, ni dans les Hadiths.

En fait, c’est au sein du christianisme que le port du voile constitue une loi religieuse impliquant formellement la relation à Dieu. Elle figure dans l’Epître aux Corinthiens. Bien que l’obligation ne concerne la femme qu’en tant qu’elle « prie ou prophétise » (v. 5) — soit durant les offices, pour les simples croyantes, et de manière permanente pour les religieuses —, elle est liée au caractère d’infériorité de la femme, qui implique sa subordination : « le chef de tout homme, c’est le Christ ; le chef de la femme, c’est l’homme » (v. 3), aussi « la femme doit[-elle] porter sur la tête la marque de sa dépendance » (v. 10). Dans la Bible hébraïque, le voile des femmes n’est pas mentionné en tant qu’obligation. Néanmoins, la Halakha (Tradition orale) considère que la femme doit se couvrir les cheveux, en signe de modestie. Les juives orthodoxes, pour lesquelles l’observance de la Halakha est centrale, dissimulent ainsi leur chevelure sous une perruque.

Cette exigence de modestie (hayâ’) est commune aux trois religions. En islam, elle s’applique aux hommes comme aux femmes, et est rappelée tant par les traditionnalistes, que par les libéraux. Ces derniers se distinguent, néanmoins, par leur opposition à toute forme de coercition en matière de port du voile, qu’elle soit religieuse ou laïque. Ils soulignent, en outre, que globalement, le hijab relève aujourd’hui d’une initiative personnelle, due à des femmes de plus en plus émancipées, au sein de sociétés qui, de fait, sont de plus en plus sécularisées.

Seyfeddine Ben Mansour Lille

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