Paul Biya réélu pour un huitième mandat au Cameroun : entre continuité politique et contestation populaire


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Le Président sortant du Cameroun, Paul Biya
Le Président sortant du Cameroun, Paul Biya

Le Cameroun vient de tourner une nouvelle page de son histoire politique, sans véritable surprise. Le Président sortant Paul Biya, âgé de 92 ans, a été proclamé vainqueur de l’élection présidentielle pour un huitième mandat consécutif, selon les résultats officiels publiés par le Conseil constitutionnel. Avec 53,66% des suffrages, le dirigeant, au pouvoir depuis 1982, renforce son statut de doyen des chefs d’État en exercice dans le monde.

Paul Biya a été réélu pour un huitième mandat au Cameroun. Le vote du 13 octobre s’est déroulé dans un climat tendu, marqué par des accusations récurrentes de fraudes et des difficultés logistiques dans plusieurs régions du pays, notamment dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, encore affectés par le conflit séparatiste anglophone. Malgré ces défis, Elections Cameroon (Elecam), l’organe en charge du scrutin, a affirmé que le processus avait été « libre, transparent et conforme à la législation ».

Les recours rejetés par le Conseil constitutionnel

Mais ces assurances n’ont pas suffi à convaincre l’opposition. Issa Tchiroma Bakary, principal rival du chef de l’État et candidat du Front du changement démocratique (FCD), conteste fermement les résultats officiels. Selon lui, son équipe aurait compilé des procès-verbaux démontrant une victoire nette de l’opposition avec 54,8% des voix. Il dénonce un système électoral « entièrement verrouillé par le régime », évoquant des bourrages d’urnes, des intimidations d’électeurs et des coupures d’Internet dans certaines zones rurales.

Saisi par plusieurs candidats, le Conseil constitutionnel camerounais a examiné les recours en contentieux électoral avant de les rejeter en bloc. Dans sa décision lue publiquement à Yaoundé, l’institution a jugé « irrecevables » ou « non fondés » les arguments présentés par les plaignants, confirmant ainsi la victoire de Paul Biya. Une position qui a immédiatement suscité la colère de l’opposition et d’une partie de la société civile, qui y voient une illustration du manque d’indépendance de l’appareil judiciaire.

Manifestations et heurts dans plusieurs villes

À la veille de la proclamation officielle des résultats, des manifestations ont éclaté à Douala, Yaoundé et Garoua, à l’appel d’Issa Tchiroma. Les forces de l’ordre ont rapidement dispersé les cortèges à l’aide de gaz lacrymogènes. Le bilan officiel fait état de quatre morts et plusieurs blessés, tandis que des ONG locales évoquent un nombre plus élevé de victimes. Deux figures de l’opposition, Djeukam Tchameni et Anicet Ekane, ont été interpellées dans la capitale économique et placées en garde à vue pour « incitation à la révolte ».

Le gouvernement, par la voix de son porte-parole, a dénoncé des « manœuvres de déstabilisation orchestrées par des forces politiques irresponsables ». Le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), parti au pouvoir, a pour sa part qualifié les revendications de victoire de l’opposition de « canular grotesque destiné à semer le chaos ». Depuis son accession à la Présidence en 1982, Paul Biya a su maintenir une emprise solide sur les institutions, notamment grâce à un réseau d’alliances au sein de l’administration, de l’armée et du parti présidentiel. Plusieurs réformes constitutionnelles ont consolidé sa longévité politique, notamment la suppression de la limitation du nombre de mandats en 2008.

Un nouveau mandat en question

Son style de gouvernance, souvent décrit comme « présidentiel à distance » en raison de ses longs séjours à l’étranger, continue de diviser les Camerounais. Pour ses partisans, il incarne la stabilité dans un pays confronté à de multiples menaces ; pour ses opposants, il symbolise l’immobilisme et la confiscation du pouvoir. Le début de ce huitième mandat s’annonce particulièrement délicat. Le Cameroun reste confronté à une crise économique marquée par l’inflation, la baisse des recettes pétrolières et la dette publique croissante.

À cela s’ajoutent des tensions sécuritaires persistantes dans les régions anglophones, où les affrontements entre séparatistes et forces gouvernementales ont déjà fait plus de 6 000 morts depuis 2017. Le pays doit également gérer une jeunesse en quête d’emploi et de changement, de plus en plus désabusée face à une classe politique figée. Sur le plan diplomatique, Yaoundé s’efforce de préserver un équilibre entre ses partenaires traditionnels, la France et la Chine, et de nouveaux acteurs régionaux, notamment le Nigeria et le Tchad. Cette orientation pragmatique vise à garantir le soutien extérieur nécessaire à la stabilité du régime.

Une transition encore impensable ?

À 92 ans, Paul Biya détient désormais un record de longévité peu commun dans le monde politique. Si ses partisans le présentent comme un dirigeant expérimenté capable de garantir la cohésion nationale, ses détracteurs s’interrogent sur la question de la succession et la préparation d’une relève politique. Officiellement, le chef de l’État n’a jamais évoqué de plan de transition. Mais en coulisses, plusieurs figures du RDPC se positionnent déjà dans la perspective d’une ère post-Biya.

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