Ouidad Elma, Wonder Woman des rues marocaines relance le combat pour les animaux errants


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Ouidad Elma adopte un animal
Ouidad Elma adopte un animal

Déguisée en super-héroïne pour une campagne PETA, l’actrice franco-marocaine Ouidad Elma interpelle le Maroc sur le sort des animaux errants. Alors que le royaume prépare la Coupe du monde 2030, le fossé se creuse entre les promesses du programme officiel TNVR et la persistance d’abattages massifs sur le terrain. Portrait d’une mobilisation internationale qui questionne l’image du Royaume.

Capeline sur la tête, brassards façon comics et chaton baptisé Prince dans les bras, l’actrice franco-marocaine Ouidad Elma vient de poser pour une nouvelle campagne choc de PETA. Le message frappe par sa simplicité : « Son super-pouvoir ? La compassion », résume l’ONG, qui dénonce « le massacre silencieux » des chiens et chats errants au Maroc et mobilise déjà plus de 110 000 signatures pour sa pétition.

Dans ce visuel inspiré de Wonder Woman, Elma pointe une réalité brutale : « Traqués, empoisonnés, parfois brûlés vifs, ces animaux paient le prix d’opérations de « nettoyage » menées à l’approche des grandes compétitions de football », dénonce-t-elle, visant directement la CAN 2025 et la Coupe du monde 2030 que le royaume co-organisera.

Chronique d’un dossier explosif

Les massacres de chiens errants ne datent pas d’hier au Maroc. En 2016, déjà, les abattages massifs précédant la COP 22 à Marrakech avaient indigné l’opinion internationale. Face au tollé, le roi Mohammed VI avait ordonné en 2019 l’arrêt des mises à mort et le lancement d’un programme « TNVR » (Trap – Neuter – Vaccinate – Return).
Une convention quadripartite impliquant les ministères de l’Intérieur, de la Santé, l’ONSSA et l’Ordre des vétérinaires formalise alors une nouvelle approche : capturer, stériliser, vacciner, puis relâcher les animaux dans leur environnement d’origine.

Mais entre promesses et réalité, l’écart persiste. En août 2024, le ministère de l’Intérieur assurait que la généralisation du TNVR « suit son cours », mettant en avant 70 millions de dirhams d’équipements mobiles, 80 millions pour la construction de dispensaires animaliers, et la création de 130 bureaux communaux d’hygiène. L’objectif ? Atteindre 100 % de couverture nationale en 2025. Deux centres pilotes, à El Arjat et dans la région Rabat-Salé-Kénitra, démontrent l’efficacité de la méthode : stérilisation, puce électronique, boucle colorée d’identification, puis retour sur site. Pourtant, des vidéos continuent de circuler, montrant des fusillades nocturnes et des carcasses calcinées.

Le grand écart entre discours officiel et réalité de terrain

Le contraste est saisissant. Mi-mai 2025, une visite de presse organisée par le gouvernement au centre TNVR d’El Aarjate présentait des installations modernes : boxes propres, chiens vaccinés, équipes formées. L’objectif affiché : « réduire progressivement la population tout en minimisant l’euthanasie ». Au même moment, des ONG européennes adressaient une lettre ouverte à la FIFA, accusant les autorités locales d’avoir « abandonné » le TNVR au profit de méthodes létales pour « assainir » les villes avant 2030. Eurogroup for Animals évoque un plan pouvant viser « plusieurs millions de chiens » et rappelle une évidence : les politiques de tirs ou d’empoisonnements sont contre-productives, car de nouveaux animaux migrent aussitôt vers les territoires vidés.

Une mobilisation qui dépasse les frontières

Dans ce contexte troublé, la prise de parole d’Ouidad Elma résonne avec force. Fille de Tinghir et figure montante du cinéma d’auteur français (remarquée chez Nabil Ayouch et dans « Cheyenne & Lola »), elle rejoint une liste de personnalités internationales – de Tom Hardy à Frank Lebœuf – qui plaident pour le respect de la faune domestique maghrébine.

L’actrice enrichit son plaidoyer d’un argument théologique puissant : dans la Sourate Al-An’âm, les animaux sont décrits comme « des communautés semblables à la nôtre ». « L’image du Maroc ne doit pas se construire sur le sang des innocents », martèle-t-elle, rappelant qu’aucun texte sacré n’autorise la cruauté envers les créatures.

Et maintenant ? Les défis à relever

  • Population estimée : Entre 1,2 et 1,5 million de chiens errants, selon un recensement en cours mené avec l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II.
  • Budget public 2019-2024 : Environ 1 milliard de dirhams pour la création de bureaux d’hygiène communaux et 80 millions de dirhams supplémentaires pour les dispensaires animaliers.
  • Objectif gouvernemental : Stériliser 70 % des femelles dans les zones pilotes d’ici 2027, seuil considéré par l’OMS comme « critique » pour réduire naturellement les naissances.
    Enjeu sanitaire : Plus de 100 000 traitements post-exposition contre la rage administrés chaque année.
  • Pour les autorités : Accélérer la mise en réseau des dispensaires, publier enfin le décret d’application de la loi 56.12, et sanctionner fermement toute commune qui s’écarte du protocole TNVR.
  • Pour la société civile : Intensifier les opérations de stérilisation « flash » et développer les campagnes de sensibilisation à l’adoption responsable.
  • Pour le grand public : Soutenir les pétitions comme celle de PETA, s’engager auprès des associations locales, et privilégier systématiquement l’adoption plutôt que l’achat d’animaux de compagnie.

En prêtant sa notoriété à cette cause, Ouidad Elma rappelle une vérité essentielle : la véritable « wonder-woman » n’est pas celle qui brandit l’épée, mais celle qui tend la main aux plus vulnérables.

Zainab Musa
LIRE LA BIO
Zainab Musa est une journaliste collaborant avec afrik.com, spécialisée dans l'actualité politique, économique et sociale du Maghreb et de l'Afrique de l'Ouest. À travers ses enquêtes approfondies et ses analyses percutantes, elle met en lumière des sujets sensibles tels que la corruption, les tensions géopolitiques, les enjeux environnementaux et les défis de la transition énergétique. Ses articles traitent également des évolutions sociétales et culturelles, notamment à travers des reportages sur les figures influentes du Maroc et de l’Algérie. Son approche rigoureuse et son regard critique font d’elle une voix incontournable du journalisme africain francophone.
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