Noukpo Agossou : « Qui contesterait qu’Abomey-Calavi soit un don du transfert de l’Université de Porto-Novo en 1970 ? »


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Professeur Noukpo Agossou
Professeur Noukpo Agossou

Dans cette troisième et dernière partie de l’entretien, Noukpo Agossou aborde plusieurs questions. Il s’intéresse à la géographie qui favorise largement Porto-Novo face à Cotonou, mais qui, curieusement, n’empêche pas les pouvoirs publics de continuer à faire des investissements lourds dans cette ville. Il parle de la nouvelle statue du roi Tofa érigée dans la ville-capitale, de l’université de… Porto-Novo.

Afrik : Venons-en aux données géographiques. Entre les deux villes, Cotonou et Porto-Novo, il est clair que par la géographie, Porto-Novo l’emporte pour être la capitale pleine du Bénin. Cotonou est inondable, inondée. Il y a l’érosion côtière et tout ce que nous savons. Les gens ferment les yeux sur la géographie par rapport à cette question de capitale ou bien qu’est-ce qui se passe ?

Noukpo Agossou : Là, excusez-moi. Il me semble que vous confirmez la thèse du complot. Vous venez en quelque sorte de confirmer la thèse du complot contre Porto-Novo dans la mesure où il n’y qu’à prendre la thèse de doctorat d’État en Géographie de Benoît N’Bessa (spécialiste de la Géographie urbaine et économique, il a enseigné au Département de Géographie et aménagement du territoire de l’Université d’Abomey-Calavi avant de faire valoir ses droits à la retraite, ndlr), qui a démontré que du point de vue géographique, la situation et le site de Porto-Novo l’emportent très largement sur Cotonou.

Il n’y a pas de comparaison à faire dans la mesure où, comme vous venez de le dire, Cotonou, ce sont des marécages, des bas-fonds, c’est un site en proie à l’érosion côtière qui risque de s’accélérer pour des raisons qu’on peut évoquer, ainsi de suite ; parce qu’en raison du changement climatique et donc du réchauffement du globe, il y a fonte des glaciers et donc augmentation, élévation du niveau des océans et des mers.

Or Cotonou est à moins de 5 m d’altitude par rapport au niveau de la mer et beaucoup d’études l’ont mis en exergue. Ce n’est pas Noukpo qui apporte quelque chose de nouveau. Par ailleurs, les exutoires naturels d’écoulement des eaux dans Cotonou ont été sauvagement occupés sous différents régimes depuis les premières années de l’indépendance. Alors, on engloutit des milliards de nos francs dans l’urbanisation à marche forcée d’une ville au détriment des autres. En réalité, c’est ce qui se passe dans notre pays. Et les gens savent que c’est juste pour un temps. Ce n’est pas de l’aménagement durable.

Il est vrai que la partie occidentale (à l’arrière du port de Cotonou, c’est-à-dire en allant vers le quartier Fidjrossè et autres) est nourrie en sable marin compte tenu de la direction du vent. Mais ça aussi, ce n’est que pour un temps. La partie orientale, c’est-à-dire depuis l’est du port vers Sèmè, est en proie à l’érosion. Au-delà de la région de Ouidah jusqu’à la frontière du Togo et au-delà, c’est encore le même drame. Vous savez qu’on a déjà changé deux fois l’emplacement de la route inter-États entre le Bénin et le Togo, dans la région de Grand-Popo ?

L’océan en a eu raison.

Oh ! C’est sous la mer. Même ici à Sèmè, avant on n’apercevait pas l’océan à partir de la route. Aujourd’hui, on l’aperçoit bien. Donc ça progresse. Mais cet élément, cet aspect ne s’applique pas qu’à Cotonou ou qu’au littoral béninois. Même d’autres grandes villes de la côte de l’Afrique occidentale sont soumises à ce phénomène. Donc pourquoi nous entêtons-nous à engloutir les ressources rares, je pourrais dire, dans ces infrastructures qui ne sont pas durables alors qu’on a de l’espace ailleurs ? Bon, ils ne comprendront pas puisque demain eux autres ne seront plus là. Ils auront endetté le pays et puis voilà ce qui va se passer.

On aurait pu, on aurait dû faire à Cotonou un aménagement qui intègre harmonieusement les dimensions hydrologiques et géomorphologiques de la ville : une ville d’eau devrait utiliser cette ressource pour son aménagement. Au lieu de boucher les voies d’eau si caractéristiques du site, on aurait dû les intégrer comme mode privilégié et durable de transport et de mobilité. Avant l’irruption de l’automobile et de la route, en effet, les transports fluviaux, lagunaires et lacustres étaient naturellement monopolistiques dans cette région méridionale de notre pays, et même au-delà des frontières…

Un autre élément dont nous allons parler, c’est la nouvelle statue du roi Tofa érigée à Porto-Novo et qui vient justement remplacer celle que vous avez contribué à réaliser en 1995. D’abord que pensez-vous du déplacement de la première statue de son lieu d’emplacement initial vers le palais privé du roi Tofa ?

Ce que j’en pense ? Le gouvernement ou l’administration a voulu faire quelque chose. Comme aujourd’hui, l’avis des simples gens comme moi n’est pas requis, une décision est prise au plus haut lieu et elle s’applique. Personne n’a jamais demandé l’avis du CRVP (Conseil de réhabilitation de la ville de Porto-Novo) qui est l’auteur de la statue de départ. À partir de ce moment, comme personne ne veut aller à la CRIET (Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme dont la sévérité des peines prononcées en ont fait une sorte de croquemitaine dans l’imaginaire populaire béninois, ndlr), personne n’a rien dit.

Il est vrai, il faut être honnête, les techniciens qui ont fait le travail sont venus me voir ici deux fois puisqu’on leur a dit que quand on doit parler de cette statue, celui qu’on peut voir encore aujourd’hui, c’est le Secrétaire général du CRVP qui est encore en vie. Alors, on a eu quelques échanges et je leur ai dit que c’est le gouvernement qui a décidé. À partir du moment où nous avons érigé la statue, elle ne constitue plus notre patrimoine personnel. C’est devenu le patrimoine de la ville ou même de la nation. Par conséquent, si telle est la volonté du gouvernement, ce n’est pas moi qui m’y opposerais. Il faut préciser que ces techniciens ont été envoyés par la mairie. Donc voilà la réponse que j’ai eu à leur faire.

Donc si on devait demander votre avis, qu’est-ce que vous alliez dire ?

Mon Dieu ! J’aurais posé beaucoup de questions. Si on m’avait associé, j’aurais pu accepter. De toute façon, je n’aurais pas pu m’y opposer compte tenu des circonstances politiques dans le pays. Sincèrement à mon âge, je préfère être ‘enquiquiné’ par mes adorables petits-enfants et mes enfants et leur donner de mon temps, un peu de bonheur (en l’absence de feu mon épouse). Toutefois, comme je viens de le dire, j’aurais posé un certain nombre de conditions, de questions, savoir par exemple si c’est cela qui est indispensable à ce moment précis. Il y a une statue communautaire réalisée par une association qui a eu le financement de toute la population de Porto-Novo, du Bénin et de la diaspora, et la statue ne souffre pas de défectuosité ou bien de défauts majeurs même si on peut critiquer certaines choses sur le plan stylistique ou artistique, j’en conviens.

Mais est-ce qu’on n’aurait pas pu réaliser d’autres infrastructures de développement dans la ville de Porto-Novo ? J’aurais articulé mon narratif sur cet aspect par exemple ; est-ce qu’il n’y a rien d’autre à faire que ça ? Point d’autres besoins spécifiques à combler qu’une statue bis par exemple ? Je crois qu’en posant de telles questions, on ne risque pas de me traîner devant la CRIET. C’est ce genre de questions que j’aurais posées si j’étais membre d’une commission chargée de réfléchir à quoi faire, une statue qui ne ressemble d’ailleurs pas à la première. Donc voilà, j’aurais souhaité d’autres infrastructures. Le monument, c’est très bon, mais on peut faire encore mieux. Moi je veux une université dans la capitale et ses environs par exemple.

Il y a le centre universitaire d’Adjara qui est là et même l’Université d’agriculture.

Vous parlez d’un centre universitaire. Et moi, je parle d’université. Quand on considère même l’Université nationale d’agriculture, il n’y a rien de cette université à Porto-Novo en dehors d’un petit immeuble en location qui abrite les services du rectorat. Et c’est nous qui avions avancé les sous.

Vous voulez parler du Conseil de réhabilitation de la ville de Porto-Novo (CRVP) ?

Ce n’était plus le Conseil puisqu’il était devenu moribond. On avait créé une association appelée Task Force.

Toujours avec la même équipe et le professeur Jijoho Padonou ?

Professeur Noukpo Agossou : Oui, Jijoho Padonou, d’autres personnes et moi. Mais ce n’était pas l’équipe du CRVP. En fait, au moment de la création de l’université, quand des tergiversations avaient commencé, nous avions prospecté le terrain, trouvé et avancé les sous pour que le bâtiment soit occupé par les services du rectorat. Ce n’était même pas l’université d’agriculture à l’époque. C’était plutôt l’Université de Porto-Novo avec comme recteur Jean-Claude Hounmènou. C’est nous qui avions avancé les sous. Il est vrai que quelques années plus tard, on nous a remboursé nos fonds. Et c’est ce même bâtiment qu’occupe l’Université nationale d’agriculture pour ses services rectoraux.

Alors, puisque le rectorat de l’Université nationale d’agriculture est quand même demeuré à Porto-Novo, on peut dire que c’est au moins quelque chose non ?

Rires. Moi je ne commente pas ces choses-là. Pour moi, elles n’existent pas. Elles sont du domaine de l’inexistant. Et j’ai eu à dénoncer ça en son temps dans un journal. Et les gens ont fini par reconnaître cela aujourd’hui, enfin il y a quelques années déjà. Ils ont fini par reconnaître que c’est une hérésie en matière économique et financière parce qu’on ne peut pas domicilier le rectorat à Porto-Novo alors que l’université se trouve à Kétou, à 107 km, et à chaque fois, soit les équipes venaient de Kétou pour les réunions ici, soit c’était l’inverse. Sur le plan financier, ça fait que le budget de cette université part pour une grande part dans les frais de fonctionnement.

Moi je l’avais déjà dénoncé à l’époque et il avait été dit que le professeur Noukpo Agossou ne trouvait jamais rien de bon dans ce qui se faisait. Ceci cela. J’ai dit, non, mais quand même. Calculez vous-même. Juste le rectorat, le bureau du recteur juste. Tous les bureaux, les amphithéâtres et le reste, c’est là-bas. À 107 km. Mais, le rectorat aussi va partir bientôt, comme pour le ministère des Enseignements maternel et primaire (MEMP) où je ne sais. Ça va partir bientôt. Parce que logiquement, on ne peut domicilier le rectorat à Porto-Novo pendant que le plus gros des infrastructures est à Kétou.

Au départ, c’était clairement l’Université d’agriculture de Kétou (UAK).

Mais, pour calmer les Porto-Noviens, on a dit bon, on va leur trouver quand même quelque chose, et puis c’est comme ça. J’ai eu des échanges avec le second recteur de cette université d’agriculture qui est l’un de mes anciens élèves du lycée Mathieu Bouké de Parakou. Il s’agit de Gauthier Biaou. Il est maintenant admis à la retraite. C’était même ici, chez moi, que Task Force l’avait reçu quand il a été nommé recteur. Les gens lui avaient fait miroiter des promesses d’infrastructures et des tas de choses ici à Porto-Novo. De toute façon, je ne me faisais pas d’illusions quand il parlait.

Mais, j’ai eu quand même à lui dire diplomatiquement un certain nombre de choses, notamment que tout ce dont il parlait ne se ferait pas. À la fin de son mandat, il n’a rien eu, rien. Alors qui plus est aujourd’hui, le Président Talon parle, enfin il a dit, selon ce qu’on nous a rapporté, que toute l’université serait regroupée à Sakété. Vous savez qu’il y a un département de l’ancienne université d’agriculture là. Sakété autour de l’École des sciences et techniques de conservation et de transformation des produits agricoles, ça va être là.

Le président de la République a déjà donné des instructions pour que le site soit dégagé afin d’obtenir au moins 40 hectares d’un seul tenant. C’est le maire de Porto-Novo qui nous a rapporté la nouvelle lors d’une réunion du comité des sages. Ce jour-là, j’essayais de faire entendre un autre son de cloche, mais bon, peine perdue. Il a même eu à me dire que c’est irréversible, qu’il n’y a plus rien à faire. Le prétexte est qu’il n’y a plus d’espace à Porto-Novo comme vous aussi, vous avez eu à le dire.

Non, mais, professeur, c’est réel. Si on prend la superficie de Porto-Novo aujourd’hui, ce n’est que 52 km2, et c’est presque entièrement occupé.

Oui. Mais, on ne peut pas prendre 52 km2.

Aujourd’hui, les autres localités auxquelles vous faites allusion sont des communes à part entière.

Absolument.

Voilà ! Donc on ne peut plus les considérer aujourd’hui comme faisant partie de Porto-Novo.

Connaissez-vous la situation de Paris intra muros et Paris avec sa banlieue ? Quand on dit Université Paris 1 jusqu’à Paris 13 ou je ne sais combien, tu crois que c’est dans Paris ? L’Université de Paris 10, c’est à Nanterre hein, à plus de 16 km de Paris intra muros. Missérété, Adjara, Avrankou, Sèmè-Kpoji, etc. sont situés à moins de 10 km de Porto-Novo. L’Université Paris 13, l’Université Paris 8 Vincennes, ce n’est pas dans Paris. Il n’y a que sept universités intra muros, de 1 jusqu’à 7. Mais tout le reste, le plus grand nombre c’est extra muros. Pourtant, c’est Paris. On dit Paris affecté d’un numéro. Puisque c’est le modèle français que nous aimons copier. Je ne suis pas rivé au modèle français, mais au moins ça là…

Oui. Mais, ceux qui sont dans ces universités savent eux-mêmes qu’ils ne sont pas dans Paris. Quand je prends Nanterre par exemple…

Ah non ! Ils sont même fiers de porter Paris parce que quand on dit Paris…

C’est valorisant.

Ah oui ! Je n’y peux rien. C’est humain. Donc que ce soit Paris 13, Paris 15, on s’en fout. C’est Paris. Voilà. Pourquoi est-ce qu’on ne ferait pas de même ici ? D’autant plus que ce ne serait qu’un rattrapage puisque ces localités faisaient partie de Porto-Novo. Il est vrai, je suis d’accord avec vous, que ces communes n’accepteraient pas de gaieté de cœur d’être englobées dans Porto-Novo aujourd’hui. J’ai enquêté. Je connais la situation.

Mais si c’est le pouvoir central, un pouvoir fort comme celui que nous avons actuellement qui décide et qui prend les dispositions nécessaires, qui oserait broncher ? Tu es maire, tu bronches, on te saute avec tout ce qui l’accompagne, on te coupe le miel, et tu iras te défendre devant la CRIET. Et si tu es de Missérété, bon, avec un peu de chance, on va te loger dans ta prison là (la prison civile d’Akpro-Missérété, ndlr). C’est vite fait ça. Non. C’est le manque de volonté politique. On veut seulement décapiter Porto-Novo. De toute façon, personne ne dit rien. Au moins moi, j’aurais laissé un écrit. Ça aussi, c’est quand même quelque chose. Ah oui ! Même si je ne suis pas entendu, l’histoire retiendra que quelqu’un a tenté quelque chose. Voilà. Je vais dormir en paix aux côtés de mes ancêtres.

Nouvelle statue du roi Tofa à Porto-Novo
Nouvelle statue du roi Tofa à Porto-Novo

Il ne faudrait pas que tous ces développements nous fassent perdre de vue le projet d’université kowétienne de Porto-Novo. Sur les 100 hectares minimum exigés par le partenaire kowétien, la commune d’Adjara appelée à la rescousse pour suppléer au manque d’espace à Porto-Novo, a posé comme condition sine qua non d’octroi de 50 hectares contigus aux 50 hectares dont dispose Porto-Novo à Lokpoji, que le projet soit identifié ‘Université d’Adjara’. Lorsque manifestement les élus locaux sont incapables de mesurer et de saisir la portée et les retombées économiques, sociales, culturelles, politiques, développementistes, etc. d’une université, ils distraient les populations sur des futilités, et en fin de compte les uns et les autres perdent les bénéfices du projet qui ne verra jamais le jour… Qui contesterait qu’Abomey-Calavi soit un don du transfert de l’université de Porto-Novo en 1970 ?

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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