Capitale marginalisée : Porto-Novo victime d’un complot ? L’analyse du professeur Noukpo Agossou


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Professeur Noukpo Agossou
Professeur Noukpo Agossou

Dans cette deuxième partie de l’entretien, le professeur Noukpo Agossou passe en revue quelques faits illustratifs du dépouillement de Porto-Novo. Des faits qui, selon son analyse, pourraient dénoter un complot ourdi contre la ville-capitale.

Afrik : Professeur, la question qu’on pourrait se poser, à vous suivre, est de chercher à savoir s’il y a eu un complot contre Porto-Novo.

Noukpo Agossou : Moi, je le considère comme un complot, mais je n’ai pas de preuves tangibles, je ne suis pas dans les rouages, dans les circonvolutions des différents pouvoirs pour pouvoir apporter des éléments tangibles en dehors de ce qu’on voit-là, du dépouillement, certains actes qui surprennent. C’est tout. Mais sincèrement, dans mon for intérieur, je considère qu’il y a eu complot à des niveaux donnés.

À cause de l’histoire ?

Il y a l’histoire, oui, les conflits politiques, ceci cela, il y a plein de choses que je n’ai pas pu analyser.

Mais vous savez que ce processus de décapitalisation, si je puis m’exprimer ainsi, de Porto-Novo, a commencé sous la période coloniale.

Oui. C’est dans mon livre.

Est-ce qu’à ce niveau aussi, on peut parler de complot ?

Mais bien sûr.

Pourquoi ?

Mais parce que les autorités politiques françaises, vous m’excusez hein, ne manquent pas de fumisterie. Ensuite, les Français en ont voulu et ils ont marqué le coup à Apithy préférant soutenir Maga et par ricochet Ahomadégbé contre Apithy. De toute façon, l’histoire politique de notre pays pendant la première duodécennie, c’est-à-dire les douze premières années, c’était la coalition Apithy-Maga, Maga-Ahomadégbé, Apithy-Ahomadégbé, etc : deux contre un. Ça a toujours tourné comme ça. Personne n’attendait Maga comme premier Président. Quand même ! Il avait fait quoi pour mériter ça ? Si ce n’étaient pas les connivences, les coups bas des colons français et autres-là qui lui ont permis d’être propulsé à la tête du pays, parce que Apithy avait des idées quelque peu progressistes à leur opposer.

En outre, Apithy avait des velléités fédéralistes africaines aux côtés de NKrumah et de Moribo Kéita, ce qui ne pouvait pas plaire à la France. Je m’excuse encore hein, ce n’est pas du chauvinisme par rapport à ça. Il faut voir le CV ou le background de chacun d’eux. Apithy avait un projet de société non seulement pour l’ex-Dahomey, mais pour l’Afrique, tout au moins l’Afrique de l’Ouest. Il a laissé quand même des œuvres intellectuelles. On peut, même s’il n’a pas eu l’occasion de concrétiser, au moins se fier quelque peu à ce qu’il a laissé comme écrits en les soumettant au peigne de la critique.

Je crois que la tâche revient peut-être aux historiens et politologues, mais moi j’ai lu plusieurs fois ses œuvres. Je me suis dit que c’est quelqu’un qui avait à donner à l’Afrique. Mais cela étant dit, il était gênant pour les colonisateurs français et vous savez pourquoi. Eux, n’ont jamais voulu de personnalités fortes à la tête de nos pays. Ils ont toujours préféré et soutenu des gens manipulables à leur guise. Par conséquent les colonisateurs français… non non. Il est vrai que Tofa leur a ouvert les portes de son royaume. Je crois qu’il doit l’avoir déjà regretté dans sa tombe.

Il l’a regretté même avant de mourir.

Ah oui oui, exactement. Il a compris puisque lui-même a été dépouillé. Eh bien voilà. Il y avait déjà complot.

Aujourd’hui, avec le dernier acte qui concerne le départ annoncé du dernier ministère de Porto-Novo, vous vous êtes résigné. C’est ça ?

Je ne sais pas si c’est le terme. En tout cas, j’en viens au fait. Ça, c’est peut-être l’un ou le tout dernier des actes, si l’on veut, mais très peu de temps avant, sous la rupture-là, il y a eu une succession d’actes qui m’ont permis de me faire cette idée-là déjà. La Cour constitutionnelle, elle, avait un site ici à Porto-Novo que je connais. Ça n’a pas empêché ce gouvernement d’aménager un autre site à Cotonou et d’y investir plus de deux milliards de nos francs. Si je fouille, je vais retrouver, ça a été publié, fort heureusement. Deux milliards pour refaire le siège de la Cour constitutionnelle. Là où ils étaient, ça a été consolidé.

À partir de cet acte-là, je me suis déjà dit qu’au fond, Porto-Novo… On va en venir au fait. Il y avait à Porto-Novo un site pour le ministère de la Justice et un site pour la Cour constitutionnelle. On a abandonné ce site pour faire des réalisations, des investissements colossaux à Cotonou. C’est un élément important.

Il y a, tout récemment, la Haute Cour de justice qui a été transférée à Cotonou. De toute façon, pour moi cela n’a même pas d’importance. Parce qu’il ne se passe pas grand-chose dans cette institution. Mais pour le symbole, c’est quand même à signaler. Il y a eu un domaine ou un ensemble de domaines plus ou moins contigus qui était pressenti pour accueillir les bâtiments, les infrastructures du ministère de la Justice. Je crois que ce plan était quand même bien conçu. Étant donné qu’il y avait déjà la Cour suprême et la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) à Porto-Novo, il était envisagé d’ériger la Cour constitutionnelle non loin. Il était de bon ton que le ministère de la Justice vienne rejoindre cet ensemble d’institutions s’occupant des affaires judiciaires.

C’était ça, mais bon… Un vaste espace allant de l’actuel Tribunal du commerce (ex-maison du combattant) aux bureaux de l’administration financière sis à côté de l’Institut national de la jeunesse, de l’éducation physique et du sport (INJEPS) en passant par le carrefour menant au ministère des Enseignements maternel et primaire jusqu’au collège Notre Dame de Lourdes faisait partie du domaine réservé à la justice pour faire le pôle judiciaire du Bénin. Malheureusement, ce projet n’a jamais abouti. Ce sont toujours des projets qui ne voient jamais le jour quand il s’agit de Porto-Novo.

Donc ça veut dire en clair que les défenseurs de la capitale Porto-Novo ont disparu. Il n’y en a plus aujourd’hui.

Rire… Ah bon ? C’est ce que vous faites de moi ça ?

C’est un constat.

Un constat… Vous l’assumez. Moi, en dehors de tous ces éléments dont nous venons de parler, il y en a d’autres que je soulève quand l’occasion se présente. Comment pouvez-vous imaginer qu’on parle de Sèmè City et qu’une infrastructure d’un tel niveau soit localisée à Ouidah ? Sèmè City doit normalement se trouver à Sèmè ou tout au moins dans le département de l’Ouémé.

Or pour l’instant, une partie des infrastructures est à Cotonou tandis que le gros des infrastructures (un campus de 350 hectares, ndlr) est en pleine érection à Ouidah. Ils n’ont pas pu changer le nom pour des raisons que je ne vais pas évoquer ici. Sèmè, qu’on le veuille ou non, c’est encore les relents de Porto-Novo. Quand on dit Sèmè, c’est encore Porto-Novo un peu, d’ailleurs pas un peu. C’est encore Porto-Novo par la culture, l’histoire, enfin, des tas de choses. Donc Sèmè City, eh bien c’est à Ouidah.

Pour moi, ça aussi, c’est un élément, parce que nous ne leur avons rien demandé. Ils sont venus, ils ont établi que ça pouvait être installé à Sèmè compte tenu d’un certain nombre d’études qui ont été réalisées. Et puis un beau matin, ils se disent qu’il ne faut pas donner cette chance-là à Sèmè, pardon à Porto-Novo. C’est ça la théorie du complot.

Mais Porto-Novo a quand même eu beaucoup d’autres choses sous le régime de rupture.

Oh my God !

Aujourd’hui, comme je me plais parfois à le dire, je peux faire le tour de Porto-Novo sans voir la couleur du sol, du fait de l’asphaltage et du pavage d’un certain nombre de voies.

Oui bon.

Ça, c’est une avancée.

On peut dire que ce sont des acquis.

Et il y a le MIV (Musée International du Vodun) qui est en construction.

Oui. En fait, c’est le seul projet d’envergure dans le PAG (programme d’action du gouvernement) pour Porto-Novo. J’ai lu, fouillé, décortiqué. Si vous prenez le PAG dans sa version originale ou même originelle, il n’y a que ça. Je crois que c’est un peu maigre pour faire une ville digne de ce nom. Il n’y a que ça.

Il y a le nouveau siège de l’Assemblée nationale.

maquette du nouveau siege de lassemblee nationale du Benin
maquette du nouveau siege de lassemblee nationale du Benin

Ce siège en face des bureaux de la préfecture ne date pas de ce régime. On sait pourquoi les gens ont préféré le démolir. Et personne ne dit rien. Donc Sèmè City est parti. Qu’est-ce qui est parti sous la rupture encore ? Par rapport au programme d’asphaltage, j’ai été le premier à avoir accordé une interview là-dessus. Les gens sont venus m’interviewer ici depuis les environs 2018. On me connaît pour mes critiques et réserves vis-à-vis du gouvernement, mais j’ai reconnu au cours de cet entretien accordé à la télévision Canal 3 qu’en toute honnêteté, depuis que je suis ici, il me semble qu’en deux ou trois ans, il y a eu plus de réalisations du genre que depuis l’indépendance. J’ai été le premier à le reconnaître. Toutefois, force est de souligner que depuis quelques années les travaux semblent marquer le pas.

Retrouver la première partie de l’interview : Porto-Novo, capitale marginalisée : le professeur Noukpo Agossou démonte le mythe du manque d’espace

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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