Notre père qui êtes parti


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Affiche du film 'Abouna'
Affiche du film 'Abouna'

Le dernier film du Tchadien Mahamat Saleh Haroun, Abouna (« notre père »), présenté à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 2002 et au dernier Fespaco, sort le 19 mars en France. Une occasion de se pencher sur ce concentré de poésie qui explore la douleur de deux enfants après le départ de leur père.

Mahamat Saleh Haroun est un faiseur d’images. Un poète de la pellicule. Son dernier film, Abouna, est un concentré de poésie. Les plans s’enchaînent avec finesse, constance, et le travail effectué sur la photo, notamment lors des scènes de nuit, est époustouflant. Le film, qui sort le 19 mars en France, a des parrains prestigieux : il est produit par le Mauritanien Abderrahmane Sissako et la Burkinabé Fanta Régina Nacro a prêté main forte en tant que conseillère artistique. Abouna (« notre père ») ou la quête de sens de Tahir et Hamine dont le père disparaît un matin. Tchadien installé en France depuis 20 ans, Mahamat Saleh Haroun offre un film sobre et tout en retenue. A voir.

Afrik : Vous avez été journaliste pendant cinq ans avant de réaliser vos premiers films, comment êtes-vous passé de l’un à l’autre ?

Mahamat Saleh Haroun : J’ai toujours aimé l’écrit. Je dirais même que je suis d’une école cinématographique de tendance « littéraire » ! Après mes études de cinéma au Conservatoire du cinéma français à Paris, je ne trouvais pas de travail et je me suis tourné vers le journalisme. Pendant cinq ans, j’ai découvert un métier où l’on doit être précis, concis, efficace et ça m’a beaucoup aidé pour passer à la réalisation. Même si le journalisme n’a été qu’une parenthèse dans ma vie, il m’a beaucoup appris. Un de mes scénarios ayant été accepté, je suis passé derrière la caméra pour réaliser mon premier court, Maral Tanié, en 1994. Le film est sorti en 1995 au Fespaco.

Afrik : Abouna analyse la douleur de deux enfants après le départ de leur père avec, en toile de fond, l’immigration des Africains qui vont tenter leur chance en Europe…

Mahamat Saleh Haroun : Ce qui m’intéresse c’est de voir comment ces choses sont en relation, la façon dont elles s’imbriquent. On voit des gens partir vers un ailleurs, on les suit parfois mais on oublie les tragédies qui les poussent à tout quitter et les tragédies qui en découlent. Je ne porte pas de regard moralisateur. Le père espère réussir en démissionnant. Quant aux enfants, ils représentent l’avenir et le plus grand, Tahir, arrive à se construire, à donner du sens à sa vie, malgré le manque.

Afrik : Il y a plusieurs références au cinéma dans votre film. C’est une sorte de mise en abîme ?

Mahamat Saleh Haroun : Pour moi, cet hommage au cinéma que je distille est important dans un pays où il n’existe plus de cinéma. Où il n’y a plus de salles, plus de structures. Le seul espace de rêve reste le cinéma lui-même en tant que territoire de ce rêve.

Afrik : Lors d’une scène, on aperçoit notamment en arrière plan les affiches de Yaaba d’Idrissa Ouédraogo ou de Stranger than Paradise de Jim Jarmusch, ce sont vos références ?

Mahamat Saleh Haroun : On peut voir ça comme ça mais je n’aime pas donner une réponse à tout ! Mon film est de l’ordre du ressenti et fonctionne sur un certain nombre d’ellipses. Je ne donne pas d’informations qui pourraient bloquer le spectateur, je ne laisse personne au bord de la route. Celui qui voit Abouna peut remplir les cases que j’ai laissé vides intentionnellement. J’ai travaillé avec la conscience de la place du spectateur.

Afrik : Vos films sont-ils montrés au Tchad ?

Mahamat Saleh Haroun : Oui, ils sortent en salle et passent même à la télé. Je me rends trois à quatre fois par an au Tchad et je vais toujours y présenter mes films. Abouna a d’ailleurs déjà été projeté là-bas et il a bien fonctionné. Il a été repris par l’Unicef qui organise à sa suite des débats sur la responsabilité des parents.

Afrik : Quel regard portez-vous sur votre pays natal ?

Mahamat Saleh Haroun : Je pense qu’il se passe quelque chose de positif en ce moment. Aucun pays ne peut sortir d’une dictature pour sauter d’un coup dans la démocratie. Une culture démocratique, ça se construit. Il y a aujourd’hui une presse libre au Tchad, une multiplication des hebdomadaires alors qu’avant il n’y avait que l’hebdo du parti unique… Il y a des débats, une pluralité d’opinions, on est en train de bâtir quelque chose. Même si c’est dur, ça fait parti du cheminement vers la démocratie.

Afrik : A Paris, vous avez créé avec d’autres réalisateurs africains la Guilde. Qu’est-ce-que-c’est ?

Mahamat Saleh Haroun : C’est une association, créée, entre autres, avec un autre Tchadien, Serge Coelho, les Camerounais François Wokouache et Jean-Marie Teno et Zeka Laplaine. Elle a pour but de défendre les intérêts de notre cinéma, de le promouvoir en Afrique et dans le monde. Nous comptons une centaine de membres qui se reconnaissent dans notre but : s’épauler pour apporter un peu plus de lumière dans le cinéma africain.

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